En août 2010, après l’arrestation en Ontario de Khurram Syed Sher et d’autres présumés terroristes, Salah Basalamah a été invité par Pierre Maisonneuve à discuter de ce qui pouvait inciter de jeunes musulmans à mener le jihad armé ici même, au Canada. À l’époque de son arrestation, Khurram Syed Sher était médecin dans un hôpital de London (Ontario). Il est né à Montréal, a gradué de McGill, a fait son internat à l’hôpital Royal Victoria de Montréal et s’est fait connaître par sa performance à Canadian Idols.
Avant d’interviewer Salah Basalamah (audio 10:40), Pierre Maisonneuve a présenté trois cas récents de terroristes musulmans arrêtés et condamnés au Canada et il s’est entretenu avec l’ancien du SCRS Michel Juneau-Katsuya (audio 02:30).
Pierre Maisonneuve (00:22) : Comment saisir qu’un jeune père de famille de trois enfants, né au Canada, médecin, se retrouve maintenant derrière les barreaux? Bien sûr, les accusés sont innocents jusqu’à preuve du contraire et ça je pense qu’on doit leur donner cette présomption d’innocence. Mais il y a eu d’autres cas. Vous savez … C’est la quatrième fois que la GRC intervient ou du moins que des personnes sont arrêtées, la troisième fois que ça conduit à des arrestations et des emprisonnements. On n’a qu’à penser à ce concepteur de logiciels qui avait été appréhendé en 2004 (Momin Khawaja) qui a finalement écopé de dix ans et demi de prison en 2009. Il y a eu ces personnes qui ont été arrêtées à Toronto. Dix-huit individus. Quatorze adultes et quatre adolescents. Onze qui ont été reconnus coupables. Le leader du groupe, Zakaria Amara, qui a été condamné à la prison à vie après avoir plaidé coupable. Il y a le Québécois d’origine marocaine, Saïd Namouh, qui est surnommé le terroriste de Maskinongé qui a été lui aussi condamné à la prison à vie. En février 2010, il avait été trouvé coupable en 2009 de complot à l’engin explosif, avec une participation aux activités d’un groupe terroriste, facilitation d’une activité terroriste, extorsion et association avec un groupe terroriste mais pour des événements qui se passaient pas nécessairement ici.
CanLii : R. v. Khawaja 2006 CanLII 63685 (ON SC)
CanLii : R. v. Khawaja 2010 ONCA 862
CanLii : R v. Amara 2010 ONSC 441
CanLii : R. c. Namouh 2010 QCCQ 943
Pierre Maisonneuve (10:40) : Salah Basalamah est membre de l’organisation Présence Musulmane, professeur au Département de traduction de l’Université d’Ottawa. Monsieur Basalamah, bonjour.
Salah Basalamah (10:50) : Bonjour.
Pierre Maisonneuve (10:51) : Monsieur Basalamah, vous êtes à Ottawa. Les arrestations ont eu lieu à Ottawa. Ça implique des jeunes, comme je le disais en présentation, des jeunes entre autres … un jeune qui est né ici, qui a étudié ici, qui a vécu sa vie professionnelle … qui vit sa vie professionnelle ici. Est-ce que vous êtes surpris?
Salah Basalamah (11:12) : Oui, c’est toujours surprenant effectivement de voir ça mais il y a un moment donné où il faut commencer à expliquer effectivement, d’essayer de trouver des causes, des raisons plus profondes effectivement que les seuls symptômes dont parlait M. Michel Juneau-Katsuya tout à l’heure.
Pierre Maisonneuve (11:30) : Mais monsieur Basalamah, je vous dirais … lorsqu’on est un jeune, on est en début de carrière, on est un jeune père de famille … ou ces choses-là … et que … je dis, je fais bien attention, je pèse mes mots parce que les personnes sont présumées innocentes, les personnes qui ont été arrêtées hier mais j’essaie de donner un exemple et il y a d’autres cas de personnes qui ont été reconnues coupables dans le passé. À ce moment-là … Est-ce qu’il …Comment peut-on tout remettre en question?
Salah Basalamah (11:56) : Il faut être sûr d’abord que les choses étaient bien claires et bien stables au départ. C’est-à-dire que même si on a pu suivre un cursus de médecine ou d’ingénieur, qu’on a effectivement eu la citoyenneté, etc. … rien n’empêche, effectivement, que par ailleurs que des opinions politiques de plus en plus radicalisées s’installent. Il y a une chose qui existe notamment dans l’ancienne jurisprudence musulmane qui est toujours considérée comme référence pour beaucoup, qui revient jusqu’au Xe et XIe siècle et qui dit que … c’est une analyse politico-jurisprudentielle qui dit que le monde est divisé en deux : il y a l’espace de l’islam et il y a l’espace de la guerre. Ce genre de discours-là existe encore malheureusement et donc, à un moment donné, le fait de se trouver au cœur de … quand on recrute ces gens-là qui se trouve au cœur de ce qu’on appellerait l’espace de la guerre et bien, à un moment donné ces personnes-là sont mobilisées parce que il y a dans la scène internationale un certain nombre de lieux où notamment le Canada est engagé et c’est une situation où les musulmans se prennent des bombes sur la figure. Et donc, de ce point de vue-là, il y a un moment donné une sensibilisation par rapport à l’appartenance et plus le sentiment d’appartenance est grand envers la communauté musulmane et qu’on polarise, si l’on veut, Islam et Occident, plus l’espace de l’islam et l’espace de la guerre, plus on arrivera à un moment donné à mobiliser des personnes contre leur propre société mais qui n’appartiennent à cette société que de façon administrative. Le grand défi, en réalité, c’est de comment faire que le sentiment d’appartenance soit un sentiment d’appartenance qui soit réel, profond et qui … même jusqu’au niveau de la représentation et des symboles.
Pierre Maisonneuve (14:00) : Mais comment, M. Basalamah, par exemple, le sentiment d’appartenance à une personne née au Canada, une personne canadienne donc, le sentiment d’appartenance musulmane, si vous me permettez, l’emporte sur l’autre sentiment.
Salah Basalamah (14:15) : C’est un sentiment d’appartenance qui est polarisé. C’est-à-dire que plus on est musulman, moins on est occidental d’une certaine manière.
Pierre Maisonneuve (14:25) : Mais est-ce qu’on est plus musulman … Peut-on être plus musulman ici que même en pays musulman?
Salah Basalamah (14:31) : Je pense pas personnellement mais je pense de nouveau … Ça revient à cette analyse politique polarisante qui consiste à les rendre opposés et absolument inconciliables. Cette façon de comprendre les choses existe et il faut absolument la combattre. Cela étant, il faut comprendre aussi qu’il y a dans l’espace du discours public, je veux dire, une guerre des symboles qui est très claire, discrimination et stigmatisation de l’image du musulman ou de la musulmane qui, à un moment donné, effectivement peut être problématique. La responsabilité, me semble-t-il, est d’ordre collectif et il faut que les responsabilités soient prises de ce point de vue là, à la fois à l’intérieur de la communauté musulmane comme à l’extérieur.
Pierre Maisonneuve (15 :19) : À l’extérieur de la communauté musulmane, comment assumer la responsabilité ou une part de responsabilité dans de tels événements?
Salah Basalamah (15:30) : Pour ce qui me concerne, l’analyse est très claire. C’est que … il y a une responsabilité civique des médias, du monde politique par rapport à quel type de discours on laisse ventiler à travers les colonnes des journaux et les écrans. C’est qu’à un moment donné lorsqu’on veut simplement signaler que … on est en train de parler d’un cas de musulmans, de foulards ou je ne sais quoi … Je veux dire … Immédiatement, il y a des images sombres qui sont déployées, des burqas à vue d’œil, etc. alors qu’on ne traite pas toujours les choses de manière suffisamment profondes. Il me semble que la responsabilité du complexe politico-médiatique est grande et il doit cesser de jouer avec les affects et les vieux stéréotypes orientalistes sinon on se tire dans le pied.
Pierre Maisonneuve (16:20) : Mais il y a un de nos correspondants sur Twitter qui disait aujourd’hui : «Je pense à la communauté, à la communauté musulmane, je pense à toutes les personnes totalement innocentes de telles réalités mais qui en subissent les contrecoups».
Salah Basalamah (16:34) : Absolument, absolument et je pense que de plus en plus il y a une conscience de la part du grand public canadien, depuis les événements du 11 septembre, il y a une répartie qui est de plus en plus présente et qui s’exprime à l’endroit de la communauté musulmane et on fait de plus en plus la distinction, on ne met pas tout le monde dans le même panier et donc, de ce point de vue-là, je pense qu’il y une maturité qui a commencé à s’installer et même aussi du côté de la communauté musulmane qui s’exprime de manière moins victimaire et se positionne plus dans un discours citoyen.
Pierre Maisonneuve (17:09) : Mais monsieur Basalamah, je posais la question tantôt à Juneau-Katsuya, à Michel Juneau-Katsuya : comment au sein de la communauté … parce qu’on connait ses membres … Qu’est-ce qui doit être fait pour empêcher que des jeunes, par exemple soient embrigadés ou se retrouvent coincés dans une telle situation?
Salah Basalamah (17:29) : Je pense que … il faut nécessairement que le contact des associations en place, des différents lieux de culte et organismes de tout acabit qui se positionnent dans la communauté musulmane s’activent d’abord pour communiquer entre eux parce que … on a beau dire que la communication avec les autorités canadiennes c’est une bonne chose parce qu’elle est régulière et ainsi de suite, sauf que … à l’intérieur même le dialogue n’est pas tout à fait encore installé et donc, de ce point de vue-là, il y a une nécessité d’organiser mais surtout de coordonner des efforts dans le sens de trouver des formules, de trouver des modules, de trouver différentes manières d’être en contact avec la jeunesse. Je pense que l’un des grands défauts, par exemple dans les communautés musulmanes ici à Ottawa et même ailleurs, c’est que les jeunes sont souvent livrés à eux-mêmes et qui a pas suffisamment, si vous voulez, d’organisations, d’événements ou de … qui soient suffisamment attractifs, suffisamment en … qui puissent prendre l’angle, si vous voulez, avec la culture locale pour permettre, justement, une inclusion beaucoup plus large de cette jeunesse qui parfois, effectivement, peut aller un petit peu à vau-l’eau.
Pierre Maisonneuve (18:50) : Salah Basalamah, membre de l’organisation Présence Musulmane et professeur au Département de traduction de l’Université d’Ottawa, merci beaucoup.
Salah Basalamah (18:57) : Mais je vous en prie.
Avant de prendre des appels des auditeurs, Pierre Maisonneuve s’est également entretenu avec Stéphane Leman-Langlois, un professeur de l’Université Laval directeur d’une équipe de recherche sur le terrorisme et l’anti-terrorisme (audio 19:00).
Références supplémentaires
David Harris (Ottawa Citizen – 26 juin 2008) : Procès Khawaja – L’ennemi intérieur, par David Harris (The enemy within )
National Post (26 août 2010) : Profils : Qui sont les trois suspects arrêtés dans l’affaire de terrorisme à Ottawa? (Profiles: Who are the three suspects arrested in the Ottawa terror case?)
National Post (27 août 2010) : Un quatrième suspect arrêté dans l’affaire de terrorisme déclare le procureur (Fourth suspect arrested in terror case, prosecutor says)
Point de Bascule (19 Décembre 2010) : Prison à perpétuité pour le terroriste Mohammad Momin Khawaja