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Quatorze jeunes Irakiens auraient été lapidés pour leur tenue vestimentaire jugée efféminée et “déviante”
Adresse originale : http://www.lepoint.fr/monde/en-irak-etre-a-la-mode-tue-13-03-2012-1440725_24.php
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Auteur : Armin Arefi
Référence : Le Point, 13 mars 2012
Titre original : Lapidation – En Irak, être à la mode tue
Au moins quatorze jeunes Irakiens auraient été lapidés pour leur tenue vestimentaire jugée efféminée et “déviante”.
“L’Irak de Saddam Hussein ne punissait pas l’homosexualité. Le pays comptait des boîtes de nuit gay, protégées par les autorités”, raconte Ali Hili, militant homosexuel irakien réfugié à Londres, qui a fui son pays en 2002. Or, près de dix ans après la chute du raïs, la donne semble avoir sensiblement changé. Selon Reuters, au moins quatorze jeunes Irakiens auraient été lapidés dans les quartiers pauvres chiites de Bagdad au cours des trois dernières semaines. On leur reproche d’arborer un style “emo”, du mot anglais emotional : cheveux colorés et coupe punk, tenue mêlant genre gothique et accessoires fluo, ces fans de musique alternative sont considérés dans leur pays comme des homosexuels.
“En Irak, les gens ignorent la différence entre les “emo” et les homosexuels”, affirme au Point.fr Ali Hili. Ils croient que tout ce qui a une apparence occidentale est gay.” Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, le pays voit se multiplier les milices chiites du Mahdi (12e imam chiite occulté, NDLR), dirigées par Moqtada al-Sadr et rendues célèbres au cours des affrontements virulents qui les ont opposées aux forces américaines. Autre groupe armé à se développer, les brigades Badr, fondées dans les années 1980 en Iran pour combattre Saddam Hussein. Libérées du joug du pouvoir sunnite baasiste, ces milices agissent également comme une “police des moeurs”, oeuvrant à rétablir le voile chez les femmes irakiennes, pourtant connues pour ne pas être très pratiquantes.
Fatwa
Dès mars 2006, les brigades ciblent aussi les homosexuels, après que le chef spirituel chiite, l’ayatollah Sistani, qui considère les gays comme des apostats et des ennemis de Dieu, a lancé une fatwa appelant ses fidèles à les tuer “de la pire manière qui soit”. D’après Ali Hili, qui dirige l’association des LGBT (gays, lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, NDLR) irakiens, plus de huit cents homosexuels auraient été tués depuis cette date. “Pour chasser les homosexuels, les miliciens créent de faux profils sur les sites internet gays avant de donner rendez-vous à leurs victimes, raconte-t-il. Lors de la rencontre, ils se jettent sur lui, le tuent, avant d’abandonner son corps dans le désert”. En janvier dernier, l’une des victimes commet l’irréparable. “Après avoir entretenu une relation sexuelle avec l’un des miliciens, rapporte Ali Hili, il diffuse la vidéo de leurs ébats sur Internet.” La réponse sera terrible et visera toute personne à l’apparence efféminée.
Selon l’International Gay and Lesbian Human Rights Commission, basée à New York, “près de quarante personnes ont été enlevées, brutalement torturées et tuées depuis février”. L’association des LGBT irakiens fait, elle, état d’une centaine de morts, certains corps ayant même été retrouvés brûlés ou jetés dans des bennes à ordures. En marge des tueries, des brochures de menaces sont placardées dans les quartiers chiites, révèle Reuters. “Nous avertissons fermement tous les hommes et femmes à l’attitude obscène : si vous ne quittez pas ces accoutrements grossiers dans les quatre jours, vous serez frappés du châtiment de Dieu par la main des moudjahidines”, indique l’une d’entre elles, dans le district de Bayaa, accompagnée des noms de 24 jeunes à abattre.
“Adorateurs du diable” (ministère de l’Intérieur)
Une autre liste, affichée cette fois à Sadr City, comporte vingt noms : “Nous sommes les brigades de la colère, dit-elle. Nous vous avertissons, si vous ne retrouvez pas le droit chemin, vous mourrez.” Naturellement, tous les soupçons se tournent vers les milices chiites. Pourtant, sur son site internet, le chef de l’armée du Mahdi, Moqtada al-Sadr, se défend d’avoir appelé au meurtre des jeunes “emo”, qu’il décrit tout de même comme “fous et idiots”. “Ils sont un fléau pour la société musulmane, et les responsables devraient les éliminer par des moyens légaux”, a-t-il indiqué samedi.
Mais le plus étonnant reste la réaction des autorités irakiennes, qui n’hésitent pas à nier la réalité des crimes. “Tous les cas de meurtres dont il a été question étaient liés à des vengeances ou avaient des motifs sociaux, criminels ou politiques”, a assuré le ministère irakien de l’Intérieur via un communiqué, selon l’AFP. Pourtant, le 13 février dernier, le même ministère
révélait un autre communiqué d’une tout autre teneur. Il avait à l’époque comparé les “emo” à des “adorateurs du diable”, évoquant “un phénomène menaçant”, avant d’annoncer qu’il avait “une autorisation officielle pour les éliminer dès que possible”.
Régression sociale depuis la guerre
“Les liens étroits entre ces milices et la coalition chiite au pouvoir à Bagdad sont pointés du doigt depuis des années”, note Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). “Le ministre irakien de l’Éducation a autorisé ces milices à pénétrer dans les écoles de Bagdad et à y chasser les étudiants emo et autres fauteurs de troubles”, indique-t-elle. Pour Ali Hili, “en divulguant aux miliciens des informations sur l’identité des homosexuels et en refusant de traduire en justice leurs agresseurs”, le gouvernement irakien est le principal responsable de ces tueries. Le militant homosexuel affirme d’ailleurs détenir la preuve de l’implication du ministère de l’Intérieur dans les récents assassinats.
Interrogé par Reuters, Abdullah, citoyen bagdadien de 31 ans, déclare, à propos d’un groupe de filles “emo”, tout de noir vêtues : “S’il s’agit uniquement d’amies qui partagent une passion commune, cela me va. Mais si ce que l’on dit sur eux est vrai, comme le fait de sucer le sang de l’autre ou d’aduler le diable, cela n’est pas accepté dans notre société. Mais je crois qu’il s’agit simplement d’un effet de mode pour imiter l’Occident.” Au-delà du cas de l’homosexualité, toujours taboue en Irak, “ces incidents soulignent le rejet par la frange islamiste radicale irakienne, chiite et sunnite de tout ce qui peut s’apparenter à l’Occident”, assure Myriam Benraad. “La lapidation des jeunes emo n’est rien d’autre que le symptôme d’une régression sociale généralisée depuis l’occupation américaine.”