La cause Shafia doit porter sur la validité des éléments de preuve soumis par la Couronne et non pas sur la façon de réconcilier la charia et le droit canadien. Point de Bascule profite de l’occasion pour rappeler quelques points concernant les crimes d’honneur. Pour comprendre la portée du droit islamique, il est essentiel de consulter des manuels de charia reconnus.
La cause Shafia doit porter sur la validité des éléments de preuve soumis par la Couronne et non pas sur la façon de réconcilier la charia et le droit canadien.
Le procès d’un couple et de leur fils originaires d’Afghanistan s’ouvre le 11 octobre à Kingston (Ontario). Ils sont accusés d’avoir tué les trois filles du couple et la première épouse du mari. Plusieurs observateurs ont avancé l’hypothèse qu’il s’agisse de crimes d’honneur. Point de Bascule profite de l’occasion pour rappeler quelques points concernant les crimes d’honneur.
La famille immédiate du meurtrier est généralement complice d’un crime d’honneur
Un des principaux critères qui sert à distinguer le crime d’honneur d’autres cas de meurtres d’épouse ou de fille par leur mari ou leur père est la complicité dont le meurtrier bénéficie généralement de la part de sa famille immédiate.
En août 2010, le magazine Marie-Claire est revenu sur le cas de Noor Almaleki, une jeune femme de 20 ans originaire d’Irak assassinée par son père en octobre 2009 aux États-Unis. L’article fait bien ressortir la collaboration de la mère qui aida le père à échapper à la police puis tenta de berner la police qui enquêtait sur le meurtre.
Marie-Claire : Honor Killings in America août 2010
Version française sur Point de Bascule : Un crime d’honneur américain 8 août 2010
Les manuels de charia consacrent l’immunité du père qui tue ses enfants
En droit islamique, les parents jouissent d’immunité pour le meurtre de leurs enfants. Voici des extraits provenant de deux manuels de charia (un sunnite et l’autre chiite) qui entérinent ce principe.
Umdat al-Salik (sunnite)
L’immunité des parents qui tuent leurs enfants est reconnue à l’article o1.2.4 de l’Umdat al-Salik
(Traduction PdeB) o1.2 Les personnes suivantes ne sont pas sujettes à des représailles :
1.Un enfant ou une personne démente, quelques soient les circonstances (…);
2.Un musulman qui tue un non-musulman;
3.Un juif ou chrétien vivant dans un État islamique qui tue un apostat de l’islam;
4.Un père ou une mère (ou leurs pères et leurs mères) qui tuent leurs descendants ou les descendants de leurs descendants.
5.(…)
Ahmad ibn Naqid al-Misri (1302 – 1367), Umdat al-Salik (Reliance of the Traveller – La dépendance du voyageur), Beltsville (Maryland), Amana Publications, 1994, pp. 583-584
Ce manuel de charia est endossé par plusieurs leaders musulmans contemporains, dont Tariq Ramadan dans son livre Radical Reform (New York, Oxford University Press, 2009, pp. 302-303) et par l’International Institute of Islamic Thought (IIIT). Mahmoud Ayoub et la Canadienne Ingrid Mattson font partie du Conseil des exégètes de l’IIIT. Ramadan et l’IIIT sont associés aux Frères Musulmans.
Une reproduction de l’extrait du livre est disponible ICI.
L’Umdat al-Salik est disponible sur le site internet de l’Université de Waterloo.
A Clarification of Questions – Ayatollah Khomeini (chiite)
À la section 2.3 d’une annexe (Appendix II) jointe à son ouvrage A Clarification of Questions, l’ayatollah Khomeini énumère une liste de personnes qui jouissent d’immunité pour leurs crimes :
(Traduction PdeB) Représailles (Ghasas)
2.Conditions pour l’exercice de représailles:
- (…);
- L’égalité dans la religion. Un musulman ne doit pas être l’objet de représailles s’il tue un infidèle, à moins que le musulman n’ait l’habitude de tuer les infidèles;
- Le tueur ne doit pas être le père de la personne tuée (ni son grand-père paternel);
- Raison et sagesse;
- Puberté;
- Qu’il ne mérite pas d’être tué d’après la religion, comme c’est le cas pour la légitime défense.
Ayatollah Khomeini (1902-1989), A Clarification of Questions, Westview Press, Boulder (Colorado), 1984, p. 429
Une reproduction de l’extrait du livre est disponible ICI.
Ibrahim Abu-Rabi qui dirigeait la chaire d’Études islamiques de l’Université de l’Alberta (Edmonton) jusqu’à sa mort récente était l’un des intellectuels influents associés aux Frères Musulmans en Amérique du Nord. En 2008, il endossa Khomeini en déclarant qu’à sa connaissance « la seule révolution islamique qui ait réussi a été menée par Khomeini, par l’Iran » (Libya Talk [Archives PdeB]).
Dans un article récent, Yves Boisvert a écrit que « rien dans le Coran n’autorise (les crimes d’honneur) ». Il convient de rappeler que le Coran n’est qu’une des sources du droit islamique. Quand l’exégète Youssef Qaradawi, guide spirituel des Frères Musulmans, justifie l’excision du clitoris par exemple, il ne cite aucun verset du Coran en la matière puisqu’ils n’existent pas. Il cite plutôt un hadith, un court texte qui décrit ce que Muhammad a déclaré sur la question.
Pour comprendre la portée du droit islamique, il est essentiel de consulter des manuels de charia reconnus.
Le concept d’honneur invoqué dans un procès canadien pour tenter de faire réduire la sentence d’un homme condamné pour le meurtre de son épouse
En 2006, Mahmoud Ayoub, un expert musulman qui fait partie du conseil des exégètes de l’International Institute of Islamic Thought (IIIT), a témoigné en faveur d’un musulman qui avait déjà été condamné pour le meurtre de son épouse. Son témoignage visait à faire passer l’accusation retenue contre le meurtrier de meurtre au premier degré à meurtre sans préméditation (manslaughter). Une décision favorable aurait allégé la sentence du meurtrier.
À cette occasion, Ayoub fit valoir que « la culture islamique accorde une grande importance au concept d’honneur dans la famille » (R. vs Humaid).
Il a également déclaré que « plusieurs sociétés islamiques permettent aux hommes qui soupçonnent leur femme d’adultère de les punir et parfois même de les tuer » (Canwest / National Post, 10 novembre 2006 – Top court refuses to hear whether religion can be a murder defence).
Ayoub ne cherchait rien de moins que de faire reconnaître par les tribunaux canadiens des principes de charia incompatibles avec l’égalité des individus devant la loi. Le juge rejeta ses arguments.
L’affaire fut portée devant la Cour Suprême qui refusa d’entendre la cause.
Mahmoud Ayoub est l’expert musulman qui témoigna en faveur d’un lobby islamiste qui poursuivit le magazine Maclean’s pour islamophobie. Point de Bascule est revenu sur ce jihad juridique dans un article récent : Jihad juridique : une réponse à Patrick Lagacé.
Des statistiques révélatrices
Peu après qu’Aqsa Parvez ait été tuée en 2007 par son père et son frère à Mississauga (Ontario) parce qu’elle refusait de porter le voile, un commentateur pakistanais publia un article dans le Pakistan Daily Times sur le phénomène des crimes d’honneur dans les pays musulmans. La famille d’Aqsa Parvez était originaire du Pakistan.
Dans son commentaire, Farrukh Saleem rapporta les statistiques suivantes :
Dans les 192 États membres de Nations Unies, presque tous les crimes d’honneur surviennent dans neuf pays très majoritairement musulmans.
Environ 2,5 % de l’humanité vit au Pakistan mais près de 30% de tous les crimes d’honneur rapportés dans le monde le sont au Pakistan.
Farrukh Saleem – Pakistan Daily Times : Truth and Denial 19 décembre 2007
Traduction française sur Point de Bascule : « Le crime d’honneur est notre exportation vers le Canada » 30 décembre 2007
Conclusion
Si, dans l’affaire Shafia, les procureurs de la défense devaient invoquer les antécédents musulmans de leurs clients pour tenter de justifier leurs actions d’une façon ou d’une autre, il est essentiel que le juge réaffirme qu’en droit canadien, c’est le principe de l’égalité de tous devant la loi qui prime sur les considérations religieuses.
La cause Shafia doit porter sur la validité des éléments de preuve soumis par la Couronne et non sur la façon de réconcilier la charia et le droit canadien.
Références supplémentaires
Journal de Montréal (Archives PdeB) : Affaire Shafia : Premières révélations sept mois après le meurtre 3 février 2010
Point de Bascule : Sélection de lectures pour comprendre “l’écosystème” permettant le crime d’honneur 24 juillet 2009