http://www.parl.gc.ca/content/sen/committee/412/SECD/52124-f.HTM
L’expert sur les Frères Musulmans, Lorenzo Vidino, témoignant devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et la défense le 11 mai 2015.
Nous considérons que la présentation de M. Vidino était fort opportune et qu’elle expliquait bien la nature des liens réels, mais souvent informels, qui existent entre les différentes entités liées au mouvement des Frères Musulmans. À deux reprises, nous avons ajouté nos propres commentaires sur des facettes abordées par M. Vidino pour préciser certaines nuances dans notre compréhension des choses. Nous avons également apporté des précisions pour identifier l’organisation CAIR-Canada, évoquée par M. Vidino, mais dont le nom est mal transcrit dans le Hansard.
EXTRAITS DE LA PRÉSENTATION DE LORENZO VIDINO SUR LES FRÈRES MUSULMANS TIRÉS DE LA TRADUCTION FRANÇAISE DU HANSARD
Les extraits sont présentés dans l’ordre où Lorenzo Vidino les a abordés devant le comité sénatorial.
EXTRAIT 1 – Le choix des partenaires pour contrer la radicalisation dans les communautés musulmanes
COMMENTAIRE DE POINT DE BASCULE sur la position des Frères Musulmans face au recours à la violence
EXTRAIT 2 – Des organisations basées en Occident qui ne reçoivent pas d’ordres formels du Caire mais qui entretiennent des liens étroits avec le mouvement des Frères musulmans
EXTRAIT 3 – Les organisations liées aux Frères Musulmans s’affichent comme les gardiens des communautés musulmanes
EXTRAIT 4 – Dans certaines situations, les groupes liés aux Frères Musulmans appuient directement la violence
EXTRAIT 5 – Un paradoxe selon Lorenzo Vidino : la confrérie prend activement part à des activités visant à contrer la radicalisation violente
COMMENTAIRE DE POINT DE BASCULE sur les programmes de rapprochement développés par les Frères Musulmans avec les services de police
EXTRAIT 6 – Les Britanniques considèrent désormais que les Frères musulmans diffusent une musique d’ambiance sur laquelle dansent les futurs kamikazes
EXTRAIT 7 – Les Frères Musulmans dépeignent l’Occident comme une société à laquelle les musulmans ne doivent pas s’intégrer
EXTRAIT 8 – Les importantes ressources dont bénéficient les Frères Musulmans leur permettent d’exercer une influence considérable sur les mosquées, les écoles et les autres lieux de rassemblement des musulmans
EXTRAIT 9 – L’appui du gouvernement britannique aux Frères Musulmans il y dix ans leur a donné une influence disproportionnée
EXTRAIT 10 – Les Frères Musulmans ne sont pas toujours honnêtes et sincères dans les rapports qu’ils établissent
EXTRAIT 11 – Une collaboration peut-être inévitable avec des organisations liées aux Frères Musulmans ne doit pas mener à leur conférer de la légitimité
EXTRAIT 12 – Le programme des Frères Musulmans en Occident
EXTRAIT 13 – Le financement étranger des organisations liées aux Frères Musulmans qui opèrent en Amérique du Nord
EXTRAIT 14 – La dynamique de victimisation exploitée par les Frères Musulmans
EXTRAIT 15 – La Muslim Association of Canada, le Conseil national des musulmans canadiens, Islamic Relief et IRFAN-Canada identifiés comme des entités appartenant à l’infrastructure des Frères Musulmans au Canada
PRÉCISION DE POINT DE BASCULE au sujet du Conseil national des musulmans canadiens (anciennement CAIR-Canada)
EXTRAIT 16 – Les services de renseignements hollandais considèrent que l’objectif ultime des Frères Musulmans – bien que jamais ouvertement avoué – est d’étendre un bloc musulman ultraorthodoxe en Europe occidentale
EXTRAIT 17 – L’implication des Frères Musulmans dans le système scolaire en Europe
EXTRAIT 18 – Le gouvernement britannique réagit à l’infiltration des institutions par les Frères Musulmans
EXTRAIT 1 – Le choix des partenaires pour contrer la radicalisation dans les communautés musulmanes
Lorenzo Vidino : Toute initiative de lutte contre la radicalisation ne peut aboutir que si l’on peut miser sur un travail de partenariat avec les communautés musulmanes. Comme ces communautés sont très fragmentées dans tous les pays occidentaux, en fonction de l’ethnicité, des allégeances confessionnelles et des sensibilités politiques, la question a toujours été de savoir qui s’exprime au nom de la communauté musulmane en général. Quelles organisations devraient être nos interlocutrices? S’agissant plus particulièrement de la lutte contre la radicalisation et de toutes les questions liées à la sécurité, il a toujours été question de savoir si les groupes ou organisations qui, par leur idéologie et leurs racines historiques, sont associés à un islamisme non violent, comme celui des Frères musulmans, font partie du problème ou de la solution? Les gouvernements devraient-ils collaborer avec ces organisations pour combattre l’extrémisme violent? Nous sommes face à une dynamique très délicate et c’est un débat qui se poursuit depuis au moins 10 ans, dans bien des pays européens et surtout au Royaume-Uni, débat qui n’est pas encore terminé.
Commentaire de Point de Bascule : Lorenzo Vidino parle d’un «islamisme non violent, comme celui des Frères musulmans». À Point de Bascule, nous préférons parler de la radicalisation pré-violente menée par les Frères Musulmans lorsqu’ils ne sont pas engagés ouvertement dans des actes de violence. Des individus et des organisations liés à l’infrastructure des Frères Musulmans ont eu recours, et ont recours, à la violence pour appliquer leur programme dans différentes régions du monde. Des idéologues de premier plan des Frères Musulmans ont justifié le recours à la violence pour atteindre leurs objectifs. L’appui financier accordé par des organisations comme la World Assembly of Muslim Youth saoudienne simultanément à des organisations terroristes et à d’autres qui s’affichent comme ‘non-violentes’ démontre qu’il n’y a qu’un mouvement, avec différentes composantes, visant la conquête et l’islamisation des sociétés occidentales.
Nous croyons que la formule ‘Good cop – Bad cop’ utilisée par l’analyste Raymond Ibrahim résume bien la dynamique qui existe entre les composantes violentes et celles qui s’affichent comme ‘non-violentes’ dans la mouvance islamiste. C’est l’existence d’une faction violente qui permet à ceux qui se déclarent non-violents de se présenter comme un antidote à la violence et de faire des pressions sur les agences gouvernementales pour qu’elles appliquent les mêmes principes que ceux réclamés par la faction violente.
Voici quelques positions prises par des leaders et des organisations liés à l’infrastructure des Frères Musulmans sur le recours à la violence :
YOUSSEF QARADAWI : Dans son classique Priorités du mouvement islamique, basé sur un discours prononcé en Algérie en 1990, le guide spirituel des Frères Musulmans, Youssef Qaradawi, justifie le recours à la force «pour changer ce qui est mauvais». Il souligne qu’un des principes politiques introduits sur terre par l’islam est de «recourir à la force à toutes les fois que c’est possible pour changer ce qui est mauvais» (“changing wrong by force whenever possible”).
HASSAN TOURABI : Dans un de ses textes où il expliquait ce qui peut entraîner les musulmans à recourir à la violence, Faisal Kutty cita le leader islamiste Hassan Tourabi qui affirme que «[Traduction PdeB] Quand l’énergie religieuse est … étouffée, elle s’accumule et finit par exploser, soit dans les actes isolés de lutte ou de résistance par ceux que les gens au pouvoir appellent des terroristes, soit dans une révolution. D’un autre côté, […] quand l’islam peut s’exprimer librement, il va apporter le changement social pacifiquement et graduellement».
PRÉSENCE MUSULMANE : Dans un texte publié le 22 septembre 2012, l’organisation Présence Musulmane de Tariq Ramadan justifia de procéder à un attentat contre Charlie Hebdo. L’organisation islamiste a retiré le texte de son site quelques jours après l’attentat perpétré contre les journalistes de Charlie Hebdo, une fois que Point de Bascule en ait révélé l’existence. «Si l’offense est l’expression de votre liberté, alors la violence, sera l’expression de leur liberté ! », déclarait notamment l’article de Présence Musulmane.
En plus de textes qui justifient le recours à la violence pour faire avancer le programme islamiste, on peut penser à de nombreuses actions violentes menées par des leaders de premier plan de l’infrastructure des Frères Musulmans. Au Québec, le cas de l’enlèvement pour rançon d’un jeune enfant par Chiheb Battikh au moment où il était le directeur du département d’éducation de la Muslim Association of Canada, la principale courroie des Frères Musulmans au pays, vient immédiatement à l’esprit.
EXTRAIT 2 – Des organisations basées en Occident qui ne reçoivent pas d’ordres formels du Caire mais qui entretiennent des liens étroits avec le mouvement des Frères musulmans
Lorenzo Vidino : Depuis plus de 40 ou 50 ans, l’Occident accueille des personnes originaires de différents pays à majorité musulmane, des personnes qui se sont installées en Amérique du Nord et en Europe où elles ont fondé des organisations. De nombreuses organisations ont d’ailleurs été créées par des personnes ayant évolué au sein des Frères musulmans, mais, stricto sensu, il est inapproprié de les définir comme des Frères musulmans. Elles ne répondent pas aux ordres venant du Caire ou d’autres capitales arabes. Elles sont indépendantes dans leur façon de fonctionner au Canada, aux États-Unis ou dans les pays européens, mais elles font tout de même partie du réseau informel qui entretient des liens étroits avec le mouvement des Frères musulmans, par l’existence de contacts personnels ou financiers mais, surtout, pour des raisons idéologiques. Ces gens-là partagent tous une certaine vision du monde.
EXTRAIT 3 – Les organisations liées aux Frères Musulmans s’affichent comme les gardiens des communautés musulmanes
Lorenzo Vidino : Nous avons affaire à une trame qui est la même dans tous les pays occidentaux, à quelques petites différences près. On parle d’un tout petit nombre de personnes, mais très averties, politiquement informées et bien financées qui ont créé des organisations représentant une très faible minorité de la communauté musulmane, et ce, quel que soit le pays occidental dont on parle, mais qui exercent une influence disproportionnée. Ces gens s’expriment haut et fort et se font voir. Ils s’affichent comme étant les gardiens des communautés musulmanes par qui doivent absolument passer tout politicien, gouvernement ou organe de presse désireux d’entendre la voix des musulmans, si tant est que cette voix existe. Ils sont en quelque sorte les chefs autoproclamés des communautés musulmanes.
EXTRAIT 4 – Dans certaines situations, les groupes liés aux Frères Musulmans appuient directement la violence
Lorenzo Vidino : [C]es organisations [liées aux Frères Musulmans] n’ont pas, d’un point de vue strictement idéologique, entièrement condamné la violence. Je parle des mouvements transnationaux hétérogènes, alors je simplifie les choses. De manière générale, le mouvement n’a pas renoncé à la violence prise en tant qu’instrument susceptible de lui permettre de faire avancer sa cause. Il a renoncé aux tactiques violentes, mais sans grande conviction.
Deuxièmement, dans certaines situations, ces groupes appuient directement la violence. De nombreuses organisations liées à la confrérie, notamment ici au Canada, financent des organisations désignées terroristes: le Hamas et ce que nous voyons actuellement en Libye, par exemple, où la confrérie participe directement à la violence aux côtés de groupes djihadistes. C’est là une dynamique intéressante.
Troisièmement, il y a lieu de s’inquiéter de ce que fait la confrérie en Occident parce qu’elle adhère à certains discours propices à la radicalisation. Au sein des communautés musulmanes, certaines factions véhiculent un discours axé sur la violence et la « victimisation », deux notions extrêmement dangereuses quand elles sont combinées.
Le discours de la confrérie revient essentiellement à dire que l’Occident est en guerre contre l’Islam, que les sociétés et les gouvernements occidentaux détestent l’Islam. Ce discours consiste à mettre dans un même sac les questions de politique étrangère et les caricatures du prophète pour prouver que l’Occident déteste les musulmans et l’Islam.
Il faut ajouter à cela une condamnation très timide du terrorisme — souvent avec moult réserves — et la justification des actes de violence comme en Palestine, au Cachemire, en Irak, en Afghanistan et dans bien d’autres coins du globe.
EXTRAIT 5 – Un paradoxe selon Lorenzo Vidino : la confrérie prend activement part à des activités visant à contrer la radicalisation violente
Lorenzo Vidino : Cela étant, en Occident, la confrérie n’est pas parvenue à la conclusion que les musulmans de l’Occident doivent prendre part à des actes violents contre nous. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc et il y a de nombreuses zones grises.
Il faut dire une chose: la confrérie prend activement part à des activités visant à contrer la radicalisation violente. C’est un paradoxe assez répandu et nous pourrons revenir sur des exemples un peu plus tard.
Commentaire de Point de Bascule : Quand des organisations liées aux Frères Musulmans se joignent à la police ou à d’autres agences gouvernementales sous le prétexte de ‘contrer la radicalisation’, elles cherchent d’abord et avant tout à miner les capacités de ces agences de comprendre la nature de la menace islamiste. Une des principales recommandations de tous les islamistes qui collaborent avec la police et les autres agences de sécurité est d’ailleurs de décourager leurs partenaires de s’intéresser à l’idéologie des islamistes. Sous le prétexte qu’il ne faille pas offenser les musulmans, les organisations liées aux Frères Musulmans veulent même faire empêcher le recours au terme ‘islamiste’ pour désigner ceux qui nous menacent.
De tout temps, le principe de base pour gagner une guerre a été de maîtriser la doctrine de l’ennemi. Qu’importe que ce soit ‘la vraie’ interprétation de l’islam ou une version dénaturée, il faut comprendre ce dont se revendiquent ceux qui nous menacent en étudiant leurs documents de base et leurs exégètes.
Tant que des concepts clés comme l’interrelation entre le jihad violent et le jihad par la parole, idéologique et non-violent n’auront pas été intégrés et acceptés par ceux qui dirigent l’offensive anti-terroriste, il sera impossible de ralentir la menace qui ne cesse de croître.
EXTRAIT 6 – Les Britanniques considèrent que les Frères musulmans diffusent une musique d’ambiance sur laquelle dansent les futurs kamikazes
Lorenzo Vidino : Pour les Britanniques, chez qui j’ai étudié cette dynamique, les Frères musulmans diffusent une musique d’ambiance sur laquelle dansent les futurs kamikazes. L’expression est fantaisiste, mais elle est révélatrice. Le gouvernement britannique a changé sa façon d’appréhender la question de la confrérie et de la radicalisation.
Il y a 10 ans, le discours dominant était tout autre: d’une certaine façon, la confrérie était vue comme la solution. On disait: il faut collaborer avec les islamistes modérés contre les purs et durs; il faut passer par un radical pour en vaincre un autre; il faut travailler avec ces gens-là. Certes, les islamistes ont des positions sur certaines questions, comme les droits des gais, les droits des femmes ou la liberté de religion, positions à tout le moins controversées, mais ils font ce qu’il faut pour prévenir la violence. C’était la pensée dominante, il y a 10 ans.
Si vous teniez aujourd’hui ce genre de discours à Londres, la plupart des gens vous regarderaient comme si vous étiez complètement déconnecté de la réalité. Les choses ont énormément changé et le gouvernement britannique a complètement changé de position. Terminées les lignes de fracture entre conservateurs et travaillistes dans ce dossier qui fait désormais presque l’unanimité dans la classe politique au Royaume-Uni. Les organisations de la confrérie n’obtiennent plus de financement gouvernemental et sont maintenant perçues comme faisant partie du problème.
Voici ce qu’on a pu lire dans la dernière livraison de Prevent :
Les groupes terroristes peuvent exploiter des idées ayant été élaborées et parfois rendues populaires par des organisations extrémistes qui évoluent en toute légalité dans notre pays.
Encore une fois, leur action n’est pas illégale, mais elle fait partie du problème.
EXTRAIT 7 – Les Frères Musulmans dépeignent l’Occident comme une société à laquelle les musulmans ne doivent pas s’intégrer
Lorenzo Vidino : Nous avons parlé de radicalisation violente, mais l’autre problème associé à la confrérie est celui de son effet sur la cohésion et l’intégration sociales. Je suis le premier à reconnaître que la majorité de ceux et de celles qui, d’une façon ou d’une autre, seront exposés à la vision du monde de la confrérie, ne deviendront pas forcément des terroristes. Ce ne sera pas le cas pour la majorité d’entre eux. Ceux qui font le saut dans le terrorisme représentent une frange, une toute petite partie, tandis que la plupart des sympathisants ne deviendront jamais des terroristes. Il demeure que le discours des Frères musulmans, leur interprétation très politisée et littérale de l’Islam dépeignant l’Occident comme une société antagoniste à laquelle les musulmans ne doivent pas s’intégrer, à moins que ce soit pour faire avancer la cause islamique, a un effet sur la cohésion sociale.
EXTRAIT 8 – Les importantes ressources dont bénéficient les Frères Musulmans leur permettent d’exercer une influence considérable sur les mosquées, les écoles et les autres lieux de rassemblement des musulmans
Lorenzo Vidino : Pour certaines questions fondamentales, comme celles des droits des femmes, des droits des gais et de la liberté de religion, la confrérie a des points de vue extrêmement problématiques. Comme je le disais, cela ne concerne qu’un faible nombre. On ne compte que quelques centaines de militants de la confrérie dans chaque pays occidental, mais ils peuvent compter sur des ressources notoires. Ils exercent une influence disproportionnée sur les mosquées, sur les écoles et les nombreux espaces où se retrouvent les musulmans. Par exemple, dans tous les pays européens, il y a des rassemblements annuels de musulmans qui, pour les plus gros, peuvent atteindre 40 000 à 50 000 participants, sous l’égide des organisations de la confrérie. Ces 40 000 ou 50 000 personnes sont-elles membres de la confrérie ou même sympathisantes? Absolument pas. Mais seule la confrérie a les ressources financières, l’organisation, l’orientation d’esprit et les capacités voulues pour organiser ce genre d’événements. La confrérie a pour objectif de répandre « sa » bonne parole dont on pourrait affirmer qu’elle est très marginale dans certaines communautés. Certes, une partie des idéaux prêchés par la confrérie a percolé dans certaines franges des communautés, mais la grande majorité des musulmans n’adhèrent pas à la pensée des Frères musulmans.
EXTRAIT 9 – L’appui du gouvernement britannique aux Frères Musulmans il y dix ans leur a donné une influence disproportionnée
Lorenzo Vidino : Il est évident que, si cet accès aux ressources était combiné à l’appui des gouvernements, ce qui s’est parfois produit, les choses pourraient, selon moi, devenir très problématiques. Ce fut le cas au Royaume-Uni, il y a 10 ans, quand le gouvernement collaborait activement avec les organisations de la confrérie, qu’il leur apportait un soutien. Cette façon de faire permet à la confrérie d’exercer une influence disproportionnée sur une très petite minorité qui, elle, est comparativement très mal organisée.
EXTRAIT 10 – Les Frères Musulmans ne sont pas toujours honnêtes et sincères dans les rapports qu’ils établissent
Lorenzo Vidino : La question est d’être en communication avec ces organisations [liées aux Frères Musulmans], et non de leur procurer des moyens d’agir. Il faut cependant le faire en toute connaissance de cause. Il faut être conscient que cette stratégie n’est pas exclusive à la confrérie, mais que cette dernière n’est pas toujours honnête ni sincère dans ses rapports. Je pense que, dans tous les cas, la première règle à suivre est de savoir exactement à qui l’on a affaire.
EXTRAIT 11 – Une collaboration peut-être inévitable avec des organisations liées aux Frères Musulmans ne doit pas mener à leur conférer de la légitimité
Lorenzo Vidino : [I]l est parfois inévitable de collaborer avec ces organisations [liées aux Frères Musulmans]. Nul doute qu’elles font partie de la communauté, qu’elles en représentent un segment. Si vous vous les aliénez totalement, si vous leur faites la guerre, elles pourraient vous causer des difficultés quand vous essayerez de rejoindre certains membres de la communauté. En même temps, si vous les considérez comme des partenaires, les prenez en compte, leur conférez une légitimité et pensez qu’elles résoudront vos problèmes en matière de radicalisation, alors je crois que vous vous faites des illusions. Cet « entre-deux » est une position extrêmement délicate et complexe et appelle une solution nuancée, taillée sur mesure.
À mon avis, l’erreur que le gouvernement britannique a commise au début a été de leur conférer une légitimité, car il les voyait comme des partenaires dans tout cela. Je pense qu’en ce moment, l’interaction avec ces organisations se déroule davantage derrière des portes closes. Les autorités estiment qu’il est inévitable de collaborer avec elles dans certaines situations. Cela dit, il y a une différence entre les partenariats d’ordre tactique et les communiqués de presse assortis d’embrassades et d’accolades que l’on voyait il y a 10 ans.
EXTRAIT 12 – Le programme des Frères Musulmans en Occident
Lorenzo Vidino : [L]es Frères musulmans voient l’Islam comme un système exhaustif régissant chaque aspect de la vie privée et de la vie publique; la vision qu’ils en ont est assez conservatrice et littérale.
[…] La confrérie, qui a été fondée en Égypte dans les années 1920 par Hassan al-Banna, comporte divers degrés, le gradualisme étant une dimension importante du credo des Frères. Au premier degré, il est question de créer le parfait musulman. Viennent ensuite la parfaite famille musulmane, la parfaite société musulmane, puis la parfaite nation musulmane, et ainsi de suite. L’idée est que tous les aspects de la vie sont régis par la charia, c’est-à-dire la loi islamique. […] En Occident, les Frères musulmans tiennent un discours différent. Ils font preuve d’un pragmatisme et d’une souplesse extraordinaires et sont tout à fait conscients qu’ils ne parviendront pas à créer des sociétés islamiques en Occident. Ils y voient peut-être un objectif à réaliser dans plusieurs siècles. Celui qui adopte un certain état d’esprit peut penser qu’un jour, tout le monde adhérera à ses idées. Cela dit, ils sont en fait très pragmatiques.En Occident, ils poursuivent des objectifs différents, qui sont essentiellement de trois ordres. Le premier de ces objectifs est de diffuser leur interprétation de l’Islam. Comme le je l’ai indiqué plus tôt, la question est plus politique que religieuse. L’islamisme est à mon sens une idéologie politique fondée sur une interprétation particulière de la religion, sur une vision du monde plutôt que sur une interprétation de l’Islam, un moyen d’étendre une vision du monde à l’ensemble des communautés musulmanes.
Leur deuxième objectif, qui consolide le premier, consiste à devenir le gardien des communautés musulmanes pour le compte de tous leurs interlocuteurs occidentaux. En qualité de gardien, de représentant autoproclamé, vous pouvez éventuellement devenir le représentant officiel. Si le gouvernement vous considère comme un partenaire fiable — par exemple, dans un grand nombre de pays européens, la question de l’enseignement de l’Islam dans les écoles revêt une grande importance —, alors le gouvernement vous chargera de l’enseignement de l’Islam dans les écoles publiques. Vous aurez ainsi l’occasion de façonner le système scolaire. Voilà pourquoi le fait de devenir un gardien est très important à leurs yeux.
Leur troisième objectif est d’agir comme n’importe quel autre groupe de pression, c’est-à-dire d’influer sur tout ce qui concerne l’Islam et l’islamisme, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, d’exercer des pressions en faveur des factions moyen-orientales et nord-africaines de la confrérie pour toutes les questions pertinentes et de représenter les communautés musulmanes auprès des décideurs qui s’enquièrent de ce qu’elles pensent. Ils veulent être le porte-parole des musulmans. Voilà en quoi consistent leurs trois objectifs.
EXTRAIT 13 – Le financement étranger des organisations liées aux Frères Musulmans qui opèrent en Amérique du Nord
Lorenzo Vidino : S’agissant du financement étranger, comme je le disais, c’est précisément cela qui classe la confrérie à part des autres organisations. Elle a accès à des fonds et elle est en mesure de recevoir du financement d’un petit nombre de personnes aux poches très profondes.
Ces sources de financement ne sont pas toujours évidentes. Les fonds proviennent en partie d’hommes d’affaires, parce que beaucoup de bailleurs de fonds sont des hommes d’affaires qui ont réussi et qui se sont haussés aux échelons supérieurs de leur communauté. Ils ont leurs entreprises.
On peut dire, toutefois, que, par le passé, la majorité des fonds venaient de sympathisants dans la région du golfe Persique. C’est une chose de le savoir, mais c’est parfois difficile de le prouver, car on manque de preuve irréfutable. Une grande partie des transactions se font au comptant et il est donc difficile de prouver quoi que ce soit.
Évidemment, certaines de ces sources de financement se sont épuisées ces dernières années. Beaucoup de pays du golfe ont changé de politique vis-à-vis des Frères musulmans — et certains plutôt radicalement.
[…] Depuis quatre ou cinq ans, le gouvernement du Qatar est le plus important bailleur de fonds des organisations de la confrérie en Amérique du Nord et en Europe. Il y a, je crois, des particuliers dans les pays du golfe qui financent ces organisations. Elles ne sont pas financées par les gouvernements, mais plutôt par de riches particuliers. En Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis, le financement est désormais illégal, mais il demeure compliqué de comprendre la dynamique du financement étranger.EXTRAIT 14 – La dynamique de victimisation exploitée par les Frères Musulmans
Lorenzo Vidino : Quant à la dynamique de la victimisation, elle est au cœur du discours. C’est d’ailleurs assez courant dans toutes les idéologies extrémistes. Dans toute idéologie, il est d’abord question de convaincre les sympathisants qu’ils sont attaqués, qu’ils sont les victimes d’une conspiration. L’idéologie consiste à leur proposer la vision de meilleurs lendemains et à leur dire qu’ils peuvent faire partie de la solution. Il suffit de penser aux idéologies extrémistes ou de droite ou encore à une vaste conspiration sioniste. En fait, à toute idéologie.
Dans le discours de la confrérie, il est question de la conspiration de l’Occident et des gouvernements laïques dans le monde arabe, non pas contre les islamistes, mais contre l’Islam et les musulmans. C’est ainsi que les choses sont présentées. Les propagandistes amalgament toutes sortes de questions, d’ordre géopolitique ou local. Il est certain que l’islamophobie existe, et toute théorie, quelle qu’elle soit, doit s’appuyer sur un fonds de réalité. Il ressort que la confrérie excelle à exploiter et à amplifier les enjeux de l’heure et à les inscrire dans un discours négatif sur le thème de la conspiration.
EXTRAIT 15 – La Muslim Association of Canada, le Conseil national des musulmans canadiens, Islamic Relief et IRFAN-Canada identifiés comme des entités appartenant à l’infrastructure des Frères Musulmans au Canada
Lorenzo Vidino : Quelles sont les organisations qui, au Canada, trouvent leurs racines dans les Frères musulmans? Comme je le disais, vous ne trouverez pas en Occident d’organisations baptisées les Frères musulmans de la Hollande, les Frères musulmans du Canada et ainsi de suite. Certaines organisations nient même catégoriquement tout lien avec les Frères musulmans et, si l’on s’en tient à une analyse strictement formelle, elles ont raison. Les gens ne transportent pas de carte de membre dans leur passeport, même si certains font partie des Frères musulmans dans leur pays d’origine. Le lien est beaucoup plus informel que cela. Certaines organisations ont été créées par des particuliers qui ont des liens personnels avec différentes branches des Frères musulmans au Moyen-Orient et qui entretiennent des liens personnels, financiers, organisationnels et idéologiques avec le mouvement.
L’Association des musulmans du Canada est sans doute le premier nom qui vient à l’esprit. Les liens sont clairs dans son cas, avec des personnalités très en vue qui sont actives depuis 20 ou 30 ans au sein des divers groupes de la confrérie au Canada et aux États-Unis. Il y a eu WeCare Canada, eh bien, c’était la même chose. Il existe des organismes de bienfaisance comme Islamic Relief. Irfan n’existe plus, mais c’était pareil.
Précision de Point de Bascule : En réponse à la question d’un sénateur qui lui demandait d’identifier des organisations liées à l’infrastructure des Frères Musulmans au Canada, Lorenzo Vidino a mentionné CAIR-Canada (Council on American Islamic Relations) et d’autres organisations. Les responsables du Hansard ont transcrit CAIR-Canada par CARE Canada. Les responsables de la traduction française ont inventé de toutes pièces le nom WeCare Canada pour désigner l’organisation. CAIR-Canada a changé de nom le 6 juillet 2013. Il est devenu le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) en français et le National Council of Canadian Muslims (NCCM) en anglais. En changeant de nom, CAIR-Canada cherchait à obscurcir les liens qui l’unissent au CAIR de Washington après que le juge Solis ait souligné dans un jugement (pp. 14-15) que le CAIR de Washington était lié à l’organisation terroriste Hamas, la section des Frères Musulmans à Gaza. Sans surprise, après la présentation de Lorenzo Vidino, le directeur-exécutif de CAIR-Canada / CNMC, Ihsaan Gardee a affirmé au Ottawa Citizen / WebArchive – Archive.Today que son organisation n’avait rien à voir avec les Frères Musulmans.
EXTRAIT 16 – Les services de renseignements hollandais considèrent que l’objectif ultime des Frères Musulmans – bien que jamais ouvertement avoué – est d’étendre un bloc musulman ultra-orthodoxe en Europe occidentale
Lorenzo Vidino : [A]vant, il existait une ligne de démarcation dans le monde occidental entre l’Europe continentale et le monde anglo-saxon. L’Europe continentale entretenait une vision beaucoup plus négative et pessimiste au sujet de la confrérie, tandis que le monde anglo-saxon y était plus favorable. Je crois que les choses ont changé. Je vous ai parlé des changements au Royaume-Uni, mais en Europe continentale, les gens ont toujours considéré la confrérie de façon très négative.
[…] De façon générale, les organismes du renseignement européens ont une perception très négative de la confrérie. Permettez-moi de vous lire deux ou trois extraits de documents hollandais. J’ai également des extraits de textes allemands et belges qui disent à peu près la même chose. Celui que je vais vous lire provient de l’AIVD, l’équivalent hollandais du SCRS, autrement dit l’agence hollandaise du renseignement.[T]ous les [F]rères [M]usulmans ou leurs sympathisants ne sont pas directement reconnaissables. Ils n’affichent pas toujours leur loyauté religieuse ni leur visée ultra-orthodoxe. Coopératifs et modérés d’apparence quand ils sont dans une société occidentale, ils n’ont certainement pas d’intention violente. Cependant, ils essaient de paver la voie à l’Islam ultra-orthodoxe pour que celui-ci joue un plus grand rôle dans le monde occidental, en exerçant une influence religieuse sur les communautés d’immigrants musulmans et en instaurant de bonnes relations avec les leaders d’opinion: politiciens, fonctionnaires, responsables d’organisations sociales reconnues, et ainsi de suite. Cette politique de la main tendue est devenue plus évidente ces dernières années et elle pourrait être indicative d’une certaine libéralisation des idées du mouvement. Ce dernier se présente comme un défenseur largement plébiscité et un représentant légitime de la communauté musulmane. Cependant, l’objectif ultime — bien que jamais ouvertement avoué — est de créer, de mettre en œuvre et d’étendre le bloc musulman ultra-orthodoxe en Europe occidentale.
EXTRAIT 17 – L’implication des Frères Musulmans dans le système scolaire en Europe
Lorenzo Vidino : La dynamique n’est pas partout la même. En Allemagne, le grand problème tient aux écoles publiques. La constitution allemande dispose que chaque État du système fédéral doit assurer l’enseignement religieux en partenariat avec chaque communauté religieuse. Vous vous retrouvez avec la dynamique habituelle où 20 organisations demandent à être partenaires du gouvernement pour enseigner l’Islam dans les écoles. Stricto sensu, les meilleures demandes sont celles des organisations de la confrérie. Les autres organisations n’ont pas le degré de raffinement nécessaire pour formuler de bonnes demandes. Du point de vue strictement administratif, elles ne sont pas à la hauteur.
La vaste majorité des États allemands ne s’arrêtent cependant pas au seul caractère officiel des demandes et ils refusent de collaborer avec les organisations de la confrérie, parce que les Frères musulmans et leur équivalent turc, Millî Görüş, qui est l’organisation sœur des Frères musulmans mais en langue turque, sont sur la liste des organisations extrémistes en Allemagne.
Les Allemands tiennent deux listes. Une constituée des organisations terroristes et une autre constituée des organisations extrémistes. Les organisations extrémistes sont sous surveillance. Le fait qu’elles se retrouvent sur une liste leur impose certaines limites, par exemple, en ce qui concerne les visas. Et puis, les organismes du renseignement collaborent avec le ministère de l’Éducation pour recenser les organisations à coucher sur la liste, soient celles qui font problème et avec qui le gouvernement ne devrait pas travailler. Cela entraîne évidemment des poursuites très complexes, mais c’est ainsi.
Dans d’autres pays, les Frères musulmans administrent des écoles privées. Il devient alors beaucoup plus difficile pour le gouvernement de prendre des mesures. Je vous ai parlé de la vision du monde des Frères musulmans et de son impact sur la cohésion sociale. Il y a lieu de s’interroger sur le genre de produit qui sort des écoles de la confrérie.
EXTRAIT 18 – Le gouvernement britannique réagit à l’infiltration des institutions par les Frères Musulmans
Lorenzo Vidino : Je crois que le gouvernement britannique est préoccupé par tout ce que nous avons vu au Royaume-Uni, par toutes les polémiques des derniers mois. C’est pour cela que le Home Office, le ministère de l’Intérieur, a mis sur pied une unité spéciale, l’Unité d’analyse de l’extrémisme, spécialement chargée des cas d’extrémismes violents ou de ce qu’ils appellent l’infiltration, soit le genre de situation où les organisations de la confrérie et Jamaat-e-Islami, équivalent sud-asiatique des Frères musulmans, infiltrent le système et répandent leur message par des moyens légaux, qui font cependant problème.