Auteure : Annabelle Laberge
Référence : Courrier Sud (Nicolet), 7 mai 2006, p. 3
Titre original : “Pendant plus de deux ans, nous avons vécu cachés”
“J’avais 12 ans quand la guerre a éclaté en Belgique, le 10 mai 1940.” Sara Schichter a presque 80 ans aujourd’hui et demeure à Montréal. Elle et son compatriote David Trop ont témoigné des horreurs de l’holocauste devant près d’une centaine d’étudiants nicolétains.
“Je suis ici pour être un témoin. Pour dire qu’on ne peut pas nier l’histoire, parce qu’elle n’est pas seulement ce qui est écrit dans un livre, elle est ce que j’ai vécu. Ses victimes portent des noms, dont le mien”, dit David Trop.
Dans la salle d’exposition du Musée des religions, on entendrait voler une mouche. Pourtant, toutes les chaises sont occupées par des jeunes de secondaire 3 et secondaire 5 de l’école secondaire Jean-Nicolet. Silencieux, ils écouteront pendant plus de deux heures le récit de deux vies, bouleversées par la Deuxième guerre mondiale et le nazisme.
Juifs tous deux, les conférenciers feront le récit de la peur, des déménagements incessants, des fuites en pleine nuit, d’un monde d’où le soleil était absent.
“Pendant plus de deux ans, nous avons vécu cachés dans plusieurs endroits différents. Je n’ai que très peu vu le soleil. Nous lisions, jouions aux cartes, au backgamond. C’était comme ça que les journées passaient. Une journée passée c’était une journée de gagnée”, dit Sara Schichter.
À la fois frêle et forte, la dame s’exprime avec calme et simplicité. Elle raconte l’enfant joyeuse qu’elle était au début de la guerre et la jeune fille de 16 ans, timide, effacée qui en est ressortie, avec des blessures immenses mais aussi une envie de vivre démesurée. Elle raconte le courage des Belges qui ont sauvé la vie à des milliers de juifs en les cachant chez eux, malgré la peur et les privations. Elle raconte aussi la perte de sa mère, une terrible nuit de novembre 1943, quand la Gestapo a frappé à la porte. “Moi et deux de mes frères avons réussi à sauter par la fenêtre et nous avons couru. Je me suis retournée un instant et j’ai vu ma mère sur le balcon, avec un Allemand pointant une arme sur elle. C’est la dernière fois que je l’ai vu.”
Après la guerre, Sara Schichter apprendra que sa mère a été déportée puis gazée à Auschwitz, le plus grand camp de concentration et d’extermination nazi, situé en Pologne. “Juste à l’idée que ma mère est certainement morte là, dans cet enfer créé par l’homme…” La fin reste en suspens. Après soixante ans, le récit est toujours douloureux. Mais le témoignage est essentiel, raisonne David Trop, préoccupé par la mémoire des jeunes générations, la multiplication des conflits et la persistance de la guerre et de l’horreur.
“L’holocauste n’a pas été un hasard. Il a été planifié et perpétré dans des pays civilisés. C’est pourquoi je dois parler. Pour que vous, les jeunes de ce pays, puissiez réaliser que vous avez un devoir de veiller à ce que la démocratie ne bascule pas. C’est une dure responsabilité mais vous avez l’obligation de lutter contre le mal et de tendre la main à ceux qui sont persécutés injustement. Toute vie a une valeur.” Devant l’émotion dans la salle, David Trop a les yeux rougis. Lui aussi a fait un long récit. De ce printemps 1943 où, séparé de ses parents et responsable de son jeune frère, il a cru être devenu orphelin, aux derniers mois passés chez les Carmélites, des soeurs cloîtrées qui ont accepté de cacher toute la famille enfin réunie. De la lutte de son père pour protéger sa famille aux multiples “miracles” souvent issus des gestes de bonté et qui semblent jalonner toute histoire. Au paroxysme, l’évocation du son d’une petite cloche, le 6 septembre 1944, qui annonçait la libération. “Toutes les grosses cloches avaient été fondues pour en faire des canons. Mais il restait les petites, et leur son est resté pour moi lié au plus beau