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Le «J’accuse» de Fatima Houda-Pepin
Adresse originale : http://www.ledevoir.com/politique/quebec/111125/le-j-accuse-de-fatima-houda-pepin
Auteur : Antoine Robitaille
Référence : Le Devoir, 8 juin 2006
La députée libérale dénonce la «propagande haineuse» des «extrémistes»
Québec — Une «propagande haineuse», un véritable «cancer», se dissémine dans notre société depuis 25 ans, «sous couvert de religion», l’islam «réductionniste», a accusé hier la députée libérale de Lapinière, Fatima Houda-Pepin, dans un entretien au Devoir où elle a remis en question la représentativité de certains des porte-parole de cette communauté. Seule élue québécoise musulmane, elle insiste pour dire qu’elle ne veut d’aucune façon préjuger de la culpabilité des 17 présumés terroristes torontois, arrêtés vendredi. Elle souscrit évidemment aux appels au calme et à la prudence.
Mais elle considère que Québécois et Canadiens, «quelle que soit l’issue des procès», doivent prendre conscience d’un fait: «Tant et aussi longtemps qu’on laissera des gens, ici, faire des endoctrinements et lancer des messages de haine à l’encontre des autres parce qu’ils sont d’une autre religion, d’une autre culture, d’une autre idéologie ou d’une autre pratique religieuse, nous allons avoir des problèmes.»
Mme Houda-Pepin, qui n’a jamais été tendre à l’endroit des sections radicales de l’islamisme, avait présenté l’an dernier une motion à l’Assemblée nationale (finalement adoptée à l’unanimité) en opposition au projet de tribunaux islamiques en Ontario.
Elle s’inquiète des propos auxquels les citoyens musulmans sont exposés «dans des lieux de culte» ou «dans des cercles de réflexion ou d’échange spirituels». Là, dit-elle, se tiennent «des discours haineux extrêmement violents à l’endroit de tous les “mécréants”; entendez par “mécréants” tous ceux qui ne sont pas musulmans, d’une part, et, d’autre part, les musulmans qui ne pensent pas comme eux». Selon la députée, «la violence commence là: lorsqu’on propage un discours de haine à l’encontre de l’autre, à cause de sa différence». D’après elle, «il faut arrêter de se fermer les yeux sur cette réalité parce que nous sommes tous perdants si on continue de fermer les yeux sur ce phénomène».
Comme les skinheads
Elle s’étonne du fait que l’on soit si vigilant envers les «discours haineux» que propagent les «skinheads», par exemple, mais dès que des propos de la même eau sont formulés dans un discours «religieux», on laisse faire. «Je présume et je suppose qu’il est permis d’interdire!», dit-elle en contre-pied au fameux slogan de mai 1968, «il est interdit d’interdire». Elle fait remarquer que le code pénal canadien contient «tout ce qu’il faut» pour mettre fin à cette «propagation haineuse sous couvert de religion». «C’est aux autorités compétentes d’agir en conséquence», insiste-t-elle.
Surtout que toute cette haine est un produit d’importation qui cause un problème de représentativité. Ses propagateurs font partie, dit-elle, d’un «petit segment minoritaire» chez les musulmans d’ici, «une mouvance alimentée aux conflits importés d’ailleurs, aux sensibilités venant d’ailleurs; elle s’est organisée autour d’un certain leadership importé d’ailleurs», affirme-t-elle. Elle pense par exemple «à des gens qui viennent ici comme imams, ils sont formés à l’étranger, payés par l’étranger, pour promouvoir au Québec et au Canada un islam de l’étranger qui n’a aucun rapport avec la réalité et les contextes proprement québécois et proprement canadiens».
Ce «segment» travaille depuis longtemps au Canada, depuis quelque «25 ans», soutient-elle. Et ceux qui le composent sont bien alimentés à tout point de vue (financement, mobilisation, structure) et cherchent à s’imposer par tous les moyens aux communautés musulmanes. «D’une certaine manière, ils essaient de définir la communauté au Canada et au Québec», dit-elle.
Mais il y a un problème: «N’importe qui peut se déclarer imam», déplore Mme Houda-Pepin. «Ce n’est pas comme le sacerdoce, où vous avez une structure, une Église organisée, où les titres valent quelque chose, où les gens ont passé à travers une formation académique, une formation personnelle, qui les a amenés à une reconnaissance d’un statut précis.» Même si vous faites n’importe quel métier, soutient-elle, «vous pouvez presque entrer dans une mosquée, dire que vous voulez être un imam et vous êtes un imam! Pourvu que vous ayez l’argent qui coule derrière vous, parce que c’est ce qui est nécessaire. Et alors, vous pouvez prendre la communauté en otage».
En contrepartie, «l’immense majorité» de cette communauté, dit-elle, ne se reconnaît pas dans ces imams souvent invités par les médias pour parler au nom des musulmans. «Il n’y a pas de leadership unifié, il n’y a pas d’interlocuteurs qui vont refléter l’opinion, le point de vue ou le sentiment de la très vaste majorité», déplore-t-elle. «Ceux qui s’intègrent, ceux qui vivent en harmonie avec leur milieu ne sont pas organisés, n’ont pas de voix reconnue pour refléter leurs sentiments et leurs réactions.» Et cette situation est «profondément dramatique», souligne Mme Houda-Pepin, parce que de nombreux membres de cette majorité «non organisée» se sentent floués: «Quand on les rencontre, ils vous disent: “Moi, j’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma famille pour fuir l’extrémisme, la violence, le fanatisme, pour combattre ces éléments-là, et ici, on m’associe à ceux qui représentent cela!”», raconte la députée.
Un «cancer»
Ainsi, s’il faut bien sûr faire «tous les efforts nécessaires pour encourager l’intégration des communautés musulmanes au Québec, au Canada», il faut aussi, selon elle, «avec la même énergie et avec la même force, dénoncer les éléments extrémistes qui sont en train de disséminer une vision de l’islam qui est totalement en rupture avec ce qu’on devrait vivre dans le monde moderne. C’est un vrai cancer qui est en train de se répandre dans la communauté». À preuve, ces burqas qui se multiplient chez nous et qui, notamment, étaient omniprésentes autour du palais de justice: «C’est une violence faite aux femmes de les forcer à porter ça, une ségrégation. On leur apprend à haïr l’autre, on leur apprend à ne pas donner la main à l’autre. On leur apprend à prendre leurs distances par rapport à l’autre.»
Lutter contre l’extrémisme ici, c’est du reste aider d’autres pays musulmans qui tentent de s’en sortir, affirme-t-elle. Il faut en somme agir localement et penser globalement car il y a aujourd’hui un extrémisme sans frontières qui est un sous-produit de la mondialisation. «L’ayatollah Khomeiny, lorsqu’il est rentré en Iran en 1979, il est parti d’où? De la banlieue de Paris, rappelle la députée. Est-ce que vous vous rendez compte que plusieurs mouvances qui se déploient à l’heure actuelle dans le monde ont leurs pieds à terre dans les pays démocratiques pour frapper ces autres pays qui cherchent justement à leur barrer la voie chez eux? L’internationalisation est déjà là. Donc, personne ne peut mener ce combat-là seul.»
Le discours de Mme Houda-Pepin débouche sur un plaidoyer pour l’aide internationale à ces pays aux prises avec l’islamisme, par exemple le Maroc. «Si on est capable de dépenser des milliards de dollars pour envoyer des soldats en Irak prétendument pour implanter la démocratie, est-ce qu’on ne pourrait pas prendre le quart de cet argent-là et aider des pays qui veulent aller vers la démocratie et les soutenir dans leur destin?»