«Les décisions des autorités canadiennes et britanniques de refuser à George Galloway et Geert Wilders l’accès à leurs territoires respectifs, remettent en cause leur droit de voyager en emportant leurs opinions, mais aussi celui des auditeurs potentiels de choisir qui ils veulent entendre. Ces nouveaux habits recouvrent les excuses éculées justifiant la censure. Le risque de permettre l’expression de toutes les opinions par tous les orateurs peut sembler énorme, mais il n’est rien en comparaison du risque d’accorder un pouvoir de censure à des fonctionnaires».
Comme nous l’avons expliqué dans notre édito Honte au fan club de George Galloway, pour défendable qu’elle ait été au plan légal, la décision des autorités canadiennes de refuser à George Galloway le droit d’entrer au pays était politiquement mal avisée. Mieux vaut éviter de transformer des personnes aux vues abjectes en martyrs et en héros de la liberté, et demander des comptes à ceux qui les invitent et les soutiennent.
Laissez-les entrer. Version originale anglaise: Let Them In
, par Christopher Hitchens, Slate, 30 mars 2009. Adaptation française: Suzanne Pace
Quand des gouvernements refusent à des députés et des universitaires l’autorisation d’entrer sur leur territoire, c’est n’est rien d’autre que de la bonne vieille censure
Photo: George Galloway à Gaza
Nous avons assisté au cours des dernières semaines à une sorte de compétition non officielle entre divers gouvernements pour voir lequel pourrait le plus vertueusement interdire l’accès à son territoire, et pour quels motifs complaisants.
La semaine dernière, les autorités canadiennes ont annoncé que le député britannique George Galloway ne serait pas autorisé à entreprendre la tournée de conférences qui devait l’amener à Toronto et Ottawa. Jason Kenney, le ministre canadien de l’immigration, a déclaré que cette interdiction était liée aux actes de Galloway plutôt qu’à ses paroles.
En effet, durant un récent voyage à Gaza, Galloway a appelé les forces armées égyptiennes à renverser le gouvernement du Président Hosni Moubarak. Mais c’est le but annoncé du voyage de Galloway dans la bande de Gaza, soit la livraison d’un convoi d’aide matérielle aux dirigeants du Hamas, qui a incité Kenney à lui refuser l’accès au territoire canadien. Galloway s’est trouvé à fournir de l’aide et des ressources à … une organisation terroriste interdite.
Galloway lui-même a déjà demandé que des députés étrangers soient interdits d’accès au territoire britannique, comme ce fut le cas pour Jean-Marie Le Pen, chef du Front national d’extrême droite en France. Et on ne l’a pas entendu protester publiquement en février dernier quand le gouvernement britannique a renvoyé Geert Wilders – un politicien hollandais dont le parti détient neuf sièges au parlement -, dès son arrivée à l’aéroport Heathrow.
Un court métrage de Wilders intitulé Fitna, disponible sur Internet, montre des scènes de violence et de cruauté entrecoupées des injonctions les plus épouvantables du coran. Il a comparé le livre saint de l’islam à Mein Kamp et, conformément au nouvel esprit intolérant de notre époque, il demande son interdiction. Il a décliné l’invitation d’une petite station néerlandaise musulmane à discuter de son film en ondes. Il a néanmoins été invité par un membre de la Chambre des Lords à projeter Fitna devant les membres de la Chambre. Comme il n’a aucun antécédent de violence ou d’incitation à la violence, il est difficile de voir en quoi sa présence à Londres aurait pu concerner la police.
La décision précipitée du gouvernement de Gordon Brown de refuser d’autoriser la visite de Wilders – un geste clairement destiné à apaiser l’aile fondamentaliste des musulmans qui est activement impliquée dans la politique britannique -, rendait quasi inévitable la révision de la décision antérieure du même gouvernement d’inviter des représentants du Hezbollah à Londres.
Un porte-parole civil de l’aile libanaise du Hezbollah devait rencontrer des fonctionnaires et des universitaires britanniques pour discuter de sujets susceptibles de présenter un intérêt commun. Cette rencontre avait été planifiée dans la foulée de la récente décision du gouvernement britannique de reprendre ses contacts avec le Hezbollah à Beyrouth, sur la prémisse qu’il y a une différence entre l’aile parlementaire et l’aile militaire de ce mouvement. Même si vous croyez que cette initiative part d’une vision naïve, les Britanniques sont tout de même en droit de l’explorer. Mais ils constatent maintenant qu’un interdit mène à un autre, ne serait-ce que pour sauver les apparences et par souci d’impartialité. Ayant refusé d’accueillir un Néerlandais, ils sont maintenant contraints de se priver du plaisir de s’asseoir avec un ou deux Libanais.
Geert Wilders s’est déjà rendu aux États-Unis, où il s’est adressé à la Conférence d’action politique conservatrice. Les officiers du Hezbollah et du Hamas ne sont pas près de se rendre à Washington, bien que l’on ait permis à George Galloway d’aller et venir comme bon lui semble. (Cela pourrait changer, vu le nombre de questions soulevées dans deux rapports officiels sur sa participation dans l’abus du programme «pétrole contre nourriture » des Nations-Unies).
Il y a actuellement un débat à savoir si nous pouvons prendre le risque d’accorder un emploi ou un visa à Tariq Ramadan, un auteur musulman dont la soi-disant « modération » est vue par certains (incluant moi-même) comme une façade couvrant une défense extrême de choses telles que les attentats suicide et la lapidation des femmes. Deux questions distinctes se posent dans le cas de Ramadan : devrait-on lui permettre d’enseigner sur un campus américain? et, devrait-on même lui permettre d’entrer aux États-Unis? La deuxième option semble être une solution relativement facile.
Ce qui est en jeu dans chacun de ces cas est non seulement le droit des personnes en cause de voyager en emportant leurs opinions, mais aussi le droit des auditeurs potentiels de choisir qui ils veulent entendre. En tant que journaliste, je peux rendre visite à des porte-parole du Hezbollah, rapporter ce qui se passe et ce qu’ils disent, mais pourquoi un lecteur devrait-il s’en remettre à ma parole? Les Communes britanniques accueillent un député aussi épouvantable que George Galloway; pourquoi les Canadiens n’auraient-ils pas l’opportunité de former leur propre opinion sur un tel personnage? Si Geert Wilders est assez convaincant pour se faire élire au parlement de La Haye, y a-t-il une raison de croire que les Britanniques soient vulnérables au point qu’il faille les mettre à l’abri de son discours?
Le fondement du Premier Amendement est que si la liberté d’une personne est protégée, celle de tous l’est également. Ce principe doit être particulièrement respecté dans les cas qui font sourciller, comme la célèbre défense par la ACLU à la fin des années 1970, du droit des nazis américains de manifester à Skokie, Illinois, une région à forte population juive. L’un des effets de la « guerre à la terreur », et l’une de ses retombées, à savoir les tensions entre le monde musulman et l’Occident, est la tendance à faire exception au principe du Premier Amendement sous prétexte soit de sécurité, soit de ne pas offenser.
Nous devrions pourtant savoir que sous ces nouveaux habits, on retrouve les mêmes vieilles excuses éculées justifiant la censure. Nous devons également retenir que si une excuse est acceptée, les autres aussi acquièrent une « légitimité ». Le risque de permettre l’expression de toutes les opinions par tous les orateurs peut sembler énorme, mais il n’est rien en comparaison du risque d’accorder un pouvoir de censure à des fonctionnaires.