George Weigel publie un livre identifiant le djihadisme comme une grande menace pour l’avenir de l’humanité au 21e siècle. Il déplore l’incapacité de nommer l’ennemi et d’affronter les racines théologiques islamiques du terrorisme. Il s’agit d’un combat idéologique. Il invite l’Occident à renouer avec la confiance en ses valeurs et à déployer les ressources intellectuelles nécessaires à la victoire. Il invite l’islam à accepter la liberté de conscience et la séparation des pouvoirs politiques et religieux. Autrement, l’histoire pourrait régresser.
Présentation de George Weigel
Politologue, philosophe et théologien catholique, auteur ou éditeur de 18 livres, chercheur au Ethics and Public Policy Center de Washington, George Weigel a obtenu le privilège exceptionnel de publier la première biographie «autorisée» du pape : Jean-Paul II, témoin de l’espérance (Lattès, 1999), qui a rencontré une audience mondiale.
Nous traduisons des extraits de la présentation du livre de George Weigel sur le site amazon.ca, suivie d’une interview accordée par Weigel à Catholic News Agency le 10 janvier 2008. Dans cette entrevue, Weigel parle notamment de la rencontre en cours de préparation entre le Vatican et 138 leaders musulmans (dont Tariq Ramadan) ayant adressé une lettre au Pape en vue d’initier un dialogue interreligieux. Une rencontre entre le Pape et les signataires de la lettre doit avoir lieu cet automne.
Faith, Reason, and the War Against Jihadism: A Call to Action, par George Weigel
Description du livre par l’éditeur Publishers Weekly
Abordant le terrorisme islamique et la réponse de l’Amérique en tant que leader mondial, le commentateur catholique Weigel affirme que «les grandes questions humaines, y compris les grandes questions de la vie publique, sont ultimement des questions théologiques». Ce court ouvrage, qui comprend 15 leçons en sections intitulées Comprendre l’ennemi, Repenser le réalisme, et Mériter la victoire, couvre des sujets tels que les volets clés de la pensée islamique, les dangers de l’apaisement des terroristes par l’Occident, ainsi que le développement de carburants de remplacement et l’élimination des armes nucléaires. Weigel affirme que le djihadisme n’est pas causé par la pauvreté ou l’existence de l’État d’Israël, mais par les racines théologiques du fondamentalisme islamique.
Il présente un argumentaire convaincant à l’effet que gagner la guerre contre le terrorisme signifie gagner la guerre des idées: l’Amérique doit surmonter son auto-mépris culturel, car la confiance, insiste-t-il, est la clé. Sans surprise, Weigel rejette ce qu’on appelle le relativisme postmoderne et le multiculturalisme dénué d’esprit critique. Son idée de ce qu’est le réalisme, comme la politique étrangère du Président Bush après le 11/9 ou l’existence de vérités morales objectives – peut ne pas être partagée par ceux qui ont des convictions politiques différentes, mais ce livre contient une analyse qui donne à réfléchir.
LEÇON 1. Les grandes questions de l’homme, y compris les grandes questions de la vie publique, sont ultimement des questions théologiques.
Ignorer le fait que, pour l’écrasante majorité de l’humanité, la religion fournit le prisme à travers lequel la vie est comprise et interprétée, constitue, en un sens, le sous-produit d’une réticence à reconnaître la vérité de ce qui est devenu une sorte de cliché : Que «les idées ont des conséquences». Elles en ont, manifestement, et comprendre les conséquences des idées qui façonnent une époque historique, et leur interaction, est essentiel à une sage gouvernance de l’État.
Nous comprenions cela à l’époque de la Guerre froide qui était, au fond, un combat mondial d’idées fondamentales: des idées sur la nature humaine, sur la communauté humaine, sur les origines de l’homme, sur les aspirations humaines, sur la destinée humaine. Comprenant que le combat avec le communisme était axé sur les idées, l’Occident, sous le leadership des États-Unis, a déployé ses ressources intellectuelles et culturelles, ainsi que sa puissance militaire pour neutraliser la menace que posait le communisme, pour l’exposer pour ce qu’il était et, finalement, le vaincre. Il semble y avoir une leçon à tirer.
C’est peut-être ironique de constater que, précisément au moment où une menace existentielle pour la civilisation occidentale qui est fondée sur une religion se manifeste avec un réel pouvoir (…) un Occident qui a perdu la capacité de penser en termes de «Dieu» et de «Satan» – et qui a oublié le drame contenu dans l’idée de «rédemption» – est un Occident qui sera incapable de reconnaître ce qui inspire et habilite les ennemis de l’Occident qui ont montré leur main sanglante le 11 septembre 2001. Un Occident qui ne prend pas au sérieux les idées religieuses comme une force dynamique dans le déroulement de l’histoire du monde est un Occident qui a désarmé lui-même, conceptuellement et imaginativement, dans la tourmente de la guerre.
LEÇON 2. La notion du judaïsme, du christianisme et de l’islam comme les «trois religions abrahamiques», les «trois religions du Livre», ou les «trois monothéismes» obscurcit plutôt qu’elle n’éclaire. Ces figures de rhétorique doivent être abandonnées.
Il y a, bien sûr, certaines vérités évidentes ici. Du point de vue du bouddhisme, de l’hindouisme ou du shintoïsme, les confessions du judaïsme, du christianisme et de l’islam – qui sont clairement «autres» – présentent de nombreuses caractéristiques «familiales» qui peuvent sembler les rendre cousines en quelque sorte. En outre – et plus important en terme de leur propre auto-compréhension – le judaïsme, le christianisme et l’islam trouvent toutes leurs origines dans l’auto-révélation de l’unique vrai Dieu à Abraham. Ce qui a émergé à partir de ce point commun de l’origine est toutefois résolument différent, surtout en ce qui concerne l’islam.
Au cours des dernières années, il a été suggéré qu’il existe une relation entre le christianisme et l’islam qui est analogue – certains diraient, pratiquement identique – à ce que le rabbin David Novak a appelé la «frontière commune» entre le judaïsme et le christianisme. La considération islamique pour Abraham et Moïse, Jésus et Marie est souvent citée comme un exemple de cette prétendue affinité. Pourtant, comme l’a fait remarquer l’éminent savant français Alain Besançon, l’Abraham de la Genèse n’est pas le Ibrahim du Coran; Moïse n’est pas Moussa. Quant à Jésus, il apparaît comme Issa, hors du lieu et hors du temps, sans référence à des paysages d’Israël. Sa mère Marie, ou Mariam, identifiée comme étant la sœur d’Aaron, lui donne naissance sous un palmier. Puis Issa accomplit plusieurs miracles qui semblent avoir été tirés des évangiles apocryphes, et annonce la future venue de Mahomet.
Jésus se fait en effet accorder une place d’honneur dans le Coran, mais ce Jésus n’est pas le Jésus en qui les chrétiens proclament leur foi. Le Jésus/Issa du Coran promulgue le même message que les prophètes antérieurs – Adam, Abraham, Lot, et le reste. En effet, tous possèdent les mêmes connaissances et proclament le même message, qui est l’islam. Comme le reste, Issa est envoyé pour prêcher l’unicité de Dieu. Il n’est absolument pas trinitaire, ni un «associateur». « Ne dites pas trois», a-t-il protesté. Il n’est pas non plus le fils de Dieu, mais un simple mortel. Il n’est pas non plus un médiateur entre les hommes sur terre et leur Père céleste, parce que l’islam ne connaît pas le concept de médiation. Et il n’est pas mort sur la croix, car dans l’islam, il est inimaginable qu’un messager de Dieu puisse être vaincu. Un double lui est substitué.
La référence de Besançon à ce qui semble être des emprunts coraniques aux évangiles apocryphes soulève, pour un auditoire du 21e e siècle, la question posée par saint Jean Damascène au 8e siècle: celle de savoir si l’islam doit être compris, en termes d’histoire des religions, comme une ramification hérétique issue du christianisme qui est apparue lorsque des christologies déficientes (c’est-à-dire, les théologies de la nature, de la personne, et de la mission du Christ) ont croisé des idées tirées des religions arabes tribales pré-islamiques et des formes de judaïsme non reconnues, autant d’éléments qui ont ensuite été forgés dans un nouveau système religieux par le génie de Mahomet.
Mais c’est là un argument pour un autre temps et un autre lieu. Il en est ainsi des débats autour du refus de Saint-Thomas d’Aquin, au treizième siècle, d’admettre un parallélisme entre le judaïsme et le christianisme, d’une part, et l’islam, de l’autre, qui se fonde sur la conviction de Thomas que Mahomet enseignait de grandes faussetés. Il suffit de dire que la structure théologique profonde de l’islam aborde des thèmes qui rendent la notion des «trois religions abrahamiques» finalement trompeuse dans la compréhension de l’islam et de sa pratique – en particulier si cette rhétorique est comprise dans l’imaginaire populaire comme l’équivalent de trois pattes soutenant le même tabouret monothéiste.
Prenez, par exemple, la question du supersessionisme islamique: la prétention de l’islam qu’il remplace le judaïsme et le christianisme qui sont finalement dévoilés, dans la révélation à Mahomet, comme des religions profondément faussées… (…)
Interview de George Weigel par Catholic News Agency, le 10 janvier 2008
Le dernier livre de George Weigel se concentre sur les racines théologiques du terrorisme islamique, et donne des solutions possibles
CNA a eu l’occasion de parler avec George Weigel de son dernier livre et de discuter du dialogue actuel avec l’islam.
Les luttes internes au sein de l’islam sur la manière dont il interagit avec le monde moderne ont débordé sur la scène mondiale au cours des dernières années avec des conséquences parfois désastreuses. Au milieu de ces bouleversements, George Weigel partage ses réflexions sur les racines de cette «guerre civile intra-islamique» et propose quelques suggestions politiques dans son nouveau livre Faith, Reason and the War Against Jihadism. (La foi, la raison et la guerre contre le djihadisme).
Q. Pourquoi avez-vous écrit Faith, Reason and the War Against Jihadism?
Weigel: Dans un sens, le livre a commencé avec mes réflexions sur le discours de Ratisbonne du Pape Benoît XVI, qui a identifié deux problèmes graves et reliés ayant un impact mondial: la foi détachée de la raison (comme dans le terrorisme djihadiste qui est fondé sur la notion irrationnelle que Dieu commande l’assassinat d’innocents), et une perte de foi dans la raison (qui laisse le monde occidental incapable, face au défi du djihadisme, de défendre ses engagements envers la liberté religieuse, la tolérance et la civilité).
J’ai également été frappé par le fait que plus d’une demie décennie après le 11/9, les Américains ne peuvent toujours pas « nommer » l’ennemi dans cette nouvelle forme de guerre dans laquelle nous nous sommes retrouvés – et ne veulent toujours pas affronter les racines théologiques du terrorisme islamiste.
J’ai donc décidé de faire quelque chose à ce sujet, ajoutant un certain nombre de prescriptions politiques qui, je l’espère, recevront un soutien bipartite.
Q. Pouvez-vous résumer les principaux points de votre argumentation?
Weigel :
1. Les grandes questions de la vie, y compris les grandes questions politiques, sont ultimement théologiques.
2. La notion de «trois religions abrahamiques» obscurcit plus qu’elle n’éclaire.
3. Le dihadisme, quoique une distorsion meurtrière de l’islam, en appelle néanmoins à certaines tendances dans l’auto-compréhension de l’islam qui ne peuvent être surmontées que par une nouvelle connexion dans l’esprit musulman entre la foi et la raison morale.
4. L’authentique dialogue interreligieux, en reconnaissant les différences théologiques et anthropologiques entre l’islam et le christianisme, se concentrera sur le développement d’un argumentaire islamique pour la liberté et la séparation des pouvoirs religieux et politiques.
5. La lutte contre le djihadisme, qui pourrait durer pendant des générations, est l’un des deux grands combats pour l’avenir de l’homme au 21e siècle (l’autre étant la gestion de la biotechnologie).
Q. Votre livre brosse un tableau plutôt sombre de l’enjeu du djihadisme. Y a-t-il une bonne nouvelle à rapporter?
Weigel : Il serait insensé de nous leurrer sur la gravité de cette menace. En même temps, nous devons comprendre que mener la guerre contre le djihadisme avec succès – et c’est fondamentalement une guerre d’idées – peut être une occasion de renouveau national. Présenter des arguments convaincants en faveur de la société libre va nous reconnecter avec les grandes idées sur lesquelles repose notre liberté. Insérer la foi et la raison dans le discours renforcera l’unité de notre société diversifiée. Défendre la liberté religieuse, et soutenir les musulmans réformateurs qui cherchent à argumenter pour la tolérance et le pluralisme, nous rappelle que la société civile américaine est construite sur des vérités concernant la dignité de la vie humaine.
Des politiques énergétiques qui tariront le financement du djihadisme en réduisant notre dépendance au pétrole en tant que carburant de transport pourraient stimuler l’entrepreneurship, revitaliser l’industrie automobile américaine, et aider l’environnement. Des politiques rationnelles de sécurité intérieure peuvent accroître notre sécurité et nous rendre moins redevables à la rectitude politique.
Q. Que pensez-vous de la récente «Lettre des 138», intitulée «Une parole commune entre vous et nous», adressée par des dirigeants musulmans au Pape Benoît XVI et à d’autres dirigeants chrétiens?
Weigel: J’espère qu’elle créera l’occasion d’un dialogue approfondi entre le catholicisme et l’islam, mais je crains aussi que les 138 essaient de changer le sujet – une tactique dans laquelle ils sont aidés par de lâches chrétiens.
Le Pape a exprimé très clairement que l’Église est principalement intéressée à discuter de deux sujets : la liberté religieuse, et la séparation des pouvoirs politiques et religieux dans l’État. Comme le Pape l’a dit à la curie dans son discours de Noël en décembre 2006, ce sont des réalisations des Lumières que l’Église catholique a travaillé dur à assimiler, y parvenant finalement avec Vatican 2.
À moins que les musulmans ne puissent trouver des garanties islamiques à la liberté religieuse et à la société civile, les islamistes agressifs et les djihadistes resteront un danger pour le monde et pour leurs concitoyens musulmans. Cela signifie parler des choses que le Pape a mises à l’ordre du jour, et ne pas dériver sur des platitudes. Dans mon livre, je discute assez longuement du processus de recherche et développement par lequel la compréhension du rôle d’antiques traditions religieuses peut progresser dans la société moderne. C’est ce que l’Église catholique a fait à partir de Léon XIII jusqu’à Jean-Paul II. Et c’est ce que le monde islamique doit faire aujourd’hui, pour son propre bien et celui de tous les autres.
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