Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ne croyait pas aux libertés individuelles et plaida que l’individu devait se soumettre à la ‘volonté générale’. Pour faciliter cet objectif, Rousseau prôna, entre autres, l’union du religieux et du politique. Il considérait néfaste et contraire au fonctionnement de la société idéale qu’il envisageait la séparation de l’Église de de l’État prévalant dans le monde chrétien. Examinant différents régimes politiques qu’a connus l’histoire, Rousseau vanta le régime politique institué par Mahomet comme un modèle qui s’apparentait à ce qu’il proposait. Lier le religieux et le politique comme le propose Rousseau (et les islamistes) est un des prérequis du totalitarisme ou de ce que Tariq Ramadan appelle pudiquement un régime ‘englobant’.
Jean-Jacques Rousseau : Plusieurs peuples cependant, même dans l’Europe ou à son voisinage, ont voulu conserver ou rétablir l’ancien système, mais sans succès; l’esprit du christianisme a tout gagné. Le culte sacré est toujours resté ou redevenu indépendant du souverain, et sans liaison nécessaire avec le corps de l’État. Mahomet eut des vues très saines, il lia bien son système politique; et, tant que la forme de son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela. Mais les Arabes, devenus florissants, lettrés, polis, mous et lâches, furent subjugués par des barbares; alors la division entre les deux puissances recommença.
Hani Ramadan (leader musulman en Suisse et frère de Tariq) a salué l’appui qu’accorda Jean-Jacques Rousseau au fonctionnement de l’État islamique.
Hani Ramadan (Blog / Tribune de Genève – 7 mai 2008) : De l’islam: écoutons Jean-Jacques ! / WebArchive – Archive.Today
Hani Ramadan : Pour qui veut comprendre l’évolution de la société civile depuis les Lumières, il est bon de relire Du Contrat social de Rousseau. Étonnante est la lucidité de cet auteur, qui tout en ayant mis en avant des idées révolutionnaires, gardait une objectivité surprenante quand il s’agissait pour lui de définir les caractéristiques de l’État islamique. Après avoir relevé que dans l’histoire des nations occidentales il y eut un «perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politie impossible dans les États chrétiens, et l’on n’a jamais pu venir à bout de savoir auquel du maître ou du prêtre on était obligé d’obéir…», Rousseau décrit ainsi le gouvernement laissé par Muhammad, le Prophète de l’islam : «Mahomet eut des vues très saines, il lia bien son système politique, et tant que la forme de son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela. Mais les Arabes devenus florissants, lettrés, polis, mous et lâches, furent subjugués par des barbares ; alors la division entre les deux puissances recommença…» (Du Contrat social, Livre IV, De la religion civile) En son siècle déjà, Rousseau nous donnait ainsi une leçon sur le dialogue respectueux des civilisations.
Tôt, Benjamin Constant (1767-1830) a mis en garde contre la thèse de Rousseau sur la soumission de l’individu à la ‘volonté générale’ en toutes choses. C’est bien pourquoi, dans une société libre, on doit restreindre au minimum les domaines de la vie des gens qui sont soumis aux décisions de la majorité. Les collectivistes et les interventionnistes de toutes couleurs sont d’une opinion contraire.
Benjamin Constant : L’assentiment de la majorité ne suffit nullement dans tous les cas, pour légitimer ses actes: il en existe que rien ne peut sanctionner; lorsqu’une autorité quelconque commet des actes pareils, il importe peu de quelle source elle se dit émanée, il importe peu qu’elle se nomme individu ou nation; elle serait la nation entière, moins le citoyen qu’elle opprime, qu’elle n’en serait pas plus légitime…
Rousseau a méconnu cette vérité et son erreur a fait de son Contrat social, si souvent invoqué en faveur de la liberté, le plus terrible auxiliaire de tous les genres de despotisme.
Après Benjamin Constant, d’autres défenseurs des libertés individuelles ont établi un parallèle entre le projet de Rousseau et la menace totalitaire dominante de leur époque respective.
Bertrand Russell (1872-1970) a présenté le type de société développée par Hitler comme un aboutissement des idées totalitaires de Jean-Jacques Rousseau. («Hitler is an outcome of Rousseau.»)
Dans son essai La grande parade (2000), Jean-François Revel a indiqué la parenté entre les thèses de Rousseau sur la culture et le ‘réalisme socialiste’ soviétique; il a fait remarquer qu’en ce qui concerne les institutions politiques, «Le Contrat social [de Rousseau] garantit la démocratie exactement de la même manière que la constitution stalinienne de 1937 en Union soviétique.» Revel écrit de Rousseau que «s’il ne fut pas, contrairement à la légende, un fondateur intellectuel de la démocratie libérale, il le fut bel et bien de la gauche totalitaire».
Dans son texte de 2011 intitulé Jean-Jacques Jihad, Andrew C. McCarthy explique que, de nos jours, c’est leur répugnance envers les libertés individuelles qui amène la gauche (les héritiers intellectuels de Rousseau) et les islamistes à s’allier pour poursuivre leurs objectifs respectifs souvent convergents. Andrew C. McCarthy est le procureur qui dirigea la poursuite judiciaire contre les auteurs du premier attentat contre le World Trade Center de 1993 et qui réussit à les faire condamner.
Autre extrait de Jean-François Revel sur le projet ‘citoyen’ totalitaire de Rousseau :
Jean-François Revel (Le regain démocratique / 1992) : Pour Rousseau, le citoyen idéal est un esclave qui agit librement. La citoyenneté se définit comme la condition d’un homme qui, «par contrat», renonce à tous ses droits personnels et à la liberté individuelle, sous prétexte qu’il est devenu une parcelle de la volonté générale. Cette définition recueille la faveur de tous les professionnels de la politique, car elle leur permet d’exercer un pouvoir abusif au nom de la démocratie. Pour eux, l’homme se réduit au citoyen, c’est à dire à l’esclave libre qui leur doit obéissance parce qu’il les a élus pour le commander. Tout ce qui en l’homme échappe à la sphère politique leur est odieux.
Lecture complémentaire
Point de Bascule : FICHE Jean-Jacques Rousseau