Une «analyse» signée Laura-Julie Perreault publiée dans La Presse du samedi 17 novembre sous le titre “Des commissaires aux lunettes roses” [a] fait état de divergences au sein de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements religieux. Les commissaires ont une perception positive suite aux différentes audiences tenues à travers le Québec, selon eux l’écrasante majorité des Québécois ont une «grande ouverture» face aux immigrés et une volonté équivalente de participer à leur intégration, nonobstant les «choses dures» dites sur les minorités religieuses par «une minorité de personnes». À l’opposé, des membres du comité des sages qui conseillent les commissaires auraient «avoué un certain malaise» et émis des réserves face à cette perception ou à ce bilan «quelque peu jovialiste».
Si l’on se fie à «l’analyse», trois des intellectuels membres du comité des sages ont selon toute apparence une lecture différente de la réalité. Contrairement aux commissaires, tous les trois constatent que les forums sont «assez anti-immigration». Ils reprochent aux commissaires (dont le mandat est d’obtenir l’avis des Québécois) de ne pas intervenir énergiquement à l’encontre de l’«antisémitisme» et particulièrement de l’«islamophobie» exprimés par les citoyens dans leurs commentaires,
L’auteur de l’«analyse» se contente de laisser parler les intervenants dont une journaliste musulmane qui croit que les commissaires ont cherché à «sauver les meubles» en embellissant la réalité et ainsi ils ont évité d’annoncer «l’échec» de la commission. Par «échec» on entend que la commission n’a pas amené les Québécois à accepter les accommodements religieux, c’est de toute évidence mal comprendre le mandat de la commission qui en est un de consultation. Le rôle de la commission n’est pas de faire dire aux Québécois ce qu’elle désire entendre mais bien de les écouter et surtout de véhiculer honnêtement leur opinion.
Lunettes ou œillères?
À quoi sert-il de poursuivre une consultation populaire si la commission refuse de prendre acte de l’opinion des gens? Jusqu’à présent les Québécois de toutes origines ont dit clairement NON aux accommodements religieux. Ayant opté pour la laïcité dans l’espace public ils tiennent à ce que les minorités religieuses la respectent et s’en accommodent, autrement dit qu’elles renoncent à cultiver les particularismes qui sont sources de discriminations et d’exclusion et qu’elles jouissent de la neutralité de l’espace public à l’égal des Québécois. Ce message a-t-il été retenu ?
Les commissaires auraient souhaité que les citoyens s’en tiennent à la rectitude politique ou qu’ils se soumettent à la dictature des bons sentiments, tel ne fut pas le cas, les Québécois n’allaient pas rater l’occasion d’indiquer dans quelle direction ils voulaient aller collectivement. Peut-on leur reprocher de rejeter le fondamentalisme religieux, la discrimination basée sur le sexe, l’inégalité hommes-femmes, les privilèges basés sur la religion…?
La déception des «sages» est un indice qui ne trompe pas du peu de contact que les «intellectuels» entretiennent avec la réalité. Insécurisés par le message ils tirent sur les messagers, et quoi de plus facile que l’insulte ? Le qualificatif d’islamophobes vise à jeter l’opprobre et à intimider ceux qui expriment leur refus de l’islam radical dans notre société. N’en déplaise aux «sages» rien ne convaincra les Québécois que le voile dit islamique est, sous toutes ses formes, autre chose que le signe tangible de l’asservissement des femmes, et rien ne leur fera admettre qu’offrir des locaux pour la prière dans les maisons d’enseignement ne constitue pas un privilège accordé à une minorité ni une négation des principes de laïcité et de neutralité de l’espace public.
Les commissaires Bouchard et Taylor ont insisté sur «l’ouverture» des Québécois sans rien dire des limites où les citoyens veulent que cette ouverture se maintienne, ce faisant ils ont semé la confusion dans les esprits. De leur côté les «sages» ont stigmatisé le rejet des accommodements religieux, l’attribuant à l’islamophobie soit la peur irrationnelle de l’islam, cependant ils ont fait abstraction de la démarche rationnelle de la majorité des Québécois et de la lucidité dont ils font preuve à l’égard de l’islam radical, de ses assauts répétés contre les libertés et des atrocités dont il s’est rendu responsable.
Somme toute à travers les divergences que l’on constate entre les commissaires porteurs de lunettes roses et les «sages» affublés de lunettes noires, on observe le même refus de la réalité et de l’opinion bien fondée des Québécois quant à la compatibilité du fondamentalisme religieux avec leurs propres valeurs.
L’impasse des intellectuels
Le peuple serait-il plus avisé que ses élites ? Tout porte à croire que oui. Bouchard et Taylor, l’un historien et l’autre philosophe sont visiblement mal à l’aise sur le plancher des vaches, ils font face non à des étudiants ou à des collègues débattant du sexe des anges, mais à des citoyens ayant intégré concrètement et dans la vie de tous les jours les valeurs de la société moderne, valeurs qu’ils entendent préserver et dont ils se font sans s’excuser les défenseurs. Les «sages» qui conseillent les commissaires semblent incapables de se départir de ce relativisme culturel qui les conduit à mettre sur le même pied la tolérance et le fanatisme pourvu qu’il soit d’ordre religieux et non-chrétien.
Les intellectuels se rendent confusément compte du fossé qui les sépare des gens, craignant de perdre toute pertinence ils sont acculés à choisir entre deux options : la première (celle des commissaires) nier carrément le fait, ou prétendre que, malgré les différences, les gens regardent avec eux dans la même direction, cette attitude «soft», toute cousue de fil blanc, n’a trompé personne.
La seconde option (celle des «sages») admettre les divergences tout en établissant une hiérarchie morale où ils se réservent le beau rôle, celui d’accusateurs et de juges; jeter le discrédit sur l’opposition les exempte de défendre leur propre point de vue et les console de leur échec. Cependant les personnes qui osent courageusement lever le drapeau rouge face au fanatisme et à l’intolérance risquent de se faire traiter de racistes ou d’islamophobes, ces accusations qu’on lance pour les museler et intimider ceux qui ne se sont pas encore exprimés sont autant d’atteintes vicieuses à la liberté d’expression, elles sont très proches des anathèmes que les fondamentalistes de tous bords jettent sur tout ce qui menace leur volonté de domination.
Par Helios d’Alexandrie