L’égalité des femmes avant la religion – une attaque contre les minorités?
Le Conseil du statut de la femme du Québec (« CSF ») plaide pour l’égalité des sexes sans accommodement au nom de la liberté de religion. La Coalition multiculturelle des femmes de Montréal (CMFM) dénonce cette prise de position, y voyant rien de moins qu’une « attaque frontale » du Québec contre ses minorités ethnoculturelles.
Ce n’est pas le CSF qu’il faut dénoncer, mais la rhétorique du relativisme culturel qui voit dans l’affirmation de l’égalité des sexes une offensive contre la culture ou les croyances religieuses des minorités.
C’est dans un article publié dans le journal The Gazette [a] que Me Pearl Eliadis, écrivant au nom de la Coalition, s’en prend au récent avis du CSF intitulé Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse[b]. Le CSF recommande d’ajouter à la Charte québécoise des droits et libertés un article affirmant clairement que l’égalité entre les hommes et les femmes ne peut être compromise au nom, notamment, de la liberté de religion. L’avis du CSF contient également les recommandations suivantes :
-*Que les fonctionnaires de l’État (y compris les enseignantes) ne puissent arborer ni manifester des signes religieux ostentatoires dans le cadre de leur travail;
-*Que la Loi sur l’instruction publique affirme que la valeur d’égalité entre les sexes soit véhiculée dans les politiques d’éducation et qu’elle ne doit pas être mise de côté pour des considérations religieuses ou culturelles.
Me Eliadis soutient qu’il s’agit là d’une « hiérarchisation des droits » reléguant la liberté de religion au second rang, en violation du droit international et de la constitution canadienne. Elle ne le dit pas, mais on peut penser que ce qui l’irrite en premier lieu, c’est la perspective de l’interdiction du foulard islamique et du niqab dans la fonction publique et chez les enseignantes.
Quant à la « hiérarchisation des droits », Me Eliadis agite des épouvantails à moineaux. Le droit international des droits de la personne établit une indéniable hiérarchie des droits. On y trouve de nombreuses conventions dont le but est précisément la lutte contre l’instrumentalisation de la religion et de la culture pour perpétuer la violation des droits des femmes et des fillettes[c]. Quant à la Charte canadienne des droits, elle contient une disposition spécifique garantissant l’égalité des sexes [d], et qui s’ajoute à l’article prohibant la discrimination sur la base du sexe. Cette disposition reflète une valeur canadienne tellement fondamentale qu’elle a préséance sur toutes les autres dispositions de la Charte canadienne, y compris celles qui garantissent la liberté de religion ainsi que la mise en valeur du multiculturalisme canadien. De plus, aucune province ni le fédéral ne peuvent y déroger en utilisant la clause dérogatoire (la clause « nonobstant »).
La position de Me Eliadis s’inscrit dans la pensée de ces relativistes culturels et multiculturalistes dogmatiques qui voient dans notre conception des droits humains et de la laïcité un instrument idéologique de l’Occident fondé sur une vision ethnocentrique, néocolonialiste et raciste de la société.
La réalité, c’est que l’État qui véhicule des valeurs d’égalité des sexes se doit d’être cohérent dans ses pratiques et ses représentations. L’enseignante voilée qui enseigne les valeurs d’égalité des sexes pose, au plan symbolique et éducatif, un conflit des représentations. Car l’image sous-jacente, enfouie sous le foulard, est celle de la femme, être vile et impure, responsable de préserver la pureté de l’homme. On ne peut pas, sous prétexte du respect des différences culturelles ou religieuses, légitimer l’inégalité et accepter, même au plan symbolique, des représentations archaïques de la femme. Accepter dans les institutions, au nom du multiculturalisme, le paradigme de la subordination des fillettes et des femmes ou des représentations archétypales de la femme tentatrice et séductrice, c’est du racisme d’État.
La Coalition multiculturelles des femmes de Montréal peut choisir de voir, dans l’avis du CSF, une manifestation de la « tyrannie » de la majorité. En fait, l’enjeu ultime, c’est notre liberté à tous.
Par Annie Lessard
N.B.
– An English version of this article is now published in The Suburban
– Une version anglaise de cet article est maintenant publiée dans The Suburban
- [Quebec Status of Women’s position is an attack on minority rights – There should be no hierarchy of rights in Canada – all rights are equal->http://www.canada.com/montrealgazette/news/editorial/story.html?id=d276a28e-3fb6-4af0-b903-915fc0e3d1bf], The Gazette, October 4,2007
- Le texte complet ainsi qu’un résumé de l’Avis sont disponibles en ligne à: [http://www.csf.gouv.qc.ca/fr/accueil/->http://www.csf.gouv.qc.ca/fr/accueil/]
- Le texte complet de l’Avis du CSF consacre un chapitre à cette démonstration, avec multiples références aux divers instruments juridiques internationaux portant sur cette question.
- Article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés : «Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ».