AVERTISSEMENT
Point de Bascule n’endosse pas le contenu de ce document. Il est archivé sur ce site uniquement à des fins de référence.
WARNING
Point de Bascule does not endorse the content of this document. It is archived on this website strictly for reference purposes.
Discours prononcé par Justin Trudeau à l’assemblée islamiste RIS 2012 de Toronto
Adresse originale: http://justin.ca/fr/discours-prononce-a-la-conference-reviving-the-islamic-spirit/
Titre original : Discours prononcé par Justin Trudeau à l’occasion de la conférence annuelle Reviving the Islamic Spirit
Date : 22 décembre 2012
English version HERE
Assalam alaykoum.
Je suis ici aujourd’hui parce que je crois en la liberté d’expression.
Je suis ici aujourd’hui parce que je crois en la liberté d’assemblée pacifique.
Je suis ici aujourd’hui parce que je crois en la Charte des droits et libertés, qui garantie toutes ces choses qui sont sacrées à mes yeux, aux vôtres, et pour toutes les personnes avec qui nous partageons notre pays.
Mais avant tout, je suis ici parce que je crois en vous.
Je crois en la contribution que vous avez apportée à notre pays. Et, comme vous, je sais qu’ensemble, nous accomplirons encore plus dans l’avenir.
Laissez-moi commencer en vous racontant une histoire. Notre histoire. Une histoire qui, je l’espère, restera à votre esprit lorsque vous considérerez notre avenir commun.
Il y a plusieurs générations de cela, un jeune homme a été mis au défi par ses leaders religieux aînés. Le genre de personnes qu’aujourd’hui nous pourrions considérer de fondamentalistes, voire d’extrémistes.
C’est que, voyez-vous, un conflit vieux d’un siècle faisait rage. Les leaders des deux camps étaient convaincus de détenir la vérité, et ils proclamaient que non seulement l’opposition avait tort, mais qu’ils étaient dans l’erreur au niveau de leurs croyances religieuses, de leur culture et de leur identité.
Et comme c’est malheureusement trop souvent le cas, ces leaders réservaient un traitement spécial à ceux qui, parmi eux, étaient en quête de compromis. Ils ne connaissaient que trop bien la menace que pouvaient représenter la modération et le compromis pour ceux qui prêchent une doctrine intransigeante.
Ce jeune homme, donc, éprouvaient des difficultés. Il entamait à peine sa carrière. Il faisait face à plusieurs enjeux auxquels, je le crois bien, vous faites aussi face aujourd’hui. Comment rester fidèle à ses valeurs, sa culture, alors que l’on sert les intérêts d’une société qui les chapeaute et dont on fait partie?
Il savait qui il était et en quoi il croyait. Il était fier de son héritage, de sa culture, de sa religion. Mais il ne pouvait décidément pas adhérer à ceux qui, au sein de sa communauté, utilisait ces éléments pour ériger des murs.
Puis, on lui a offert l’incroyable opportunité de s’adresser à un auditoire distingué de leaders politiques, religieux et d’affaires dans la capitale. Il les a mis au défi de regarder au-delà des limites étroites imposées par le présent, et de se tourner vers l’avenir.
Il a dit :
« La providence a réuni ici des populations d’origines et de croyances différentes. N’est-il pas évident que ces populations partagent des intérêts communs et partagés. »
Ce jeune homme occupe une importante place dans notre histoire, comme je vous l’ai dit. Mais il n’est pas retourné chez lui pour devenir imam, saint homme ou calife.
Il est retourné chez lui pour devenir – parmi tant d’autres choses plus importantes – mon deuxième premier ministre favori…
C’était en 1877. C’était à Québec. Et ce brave jeune homme s’appelait Wilfrid Laurier.
Il avait 35 ans, avec à peine 3 ans de service au Parlement pour lui donner une légitimité.
Et il avait pris une décision difficile.
Plutôt que de suivre les traces de ses prédécesseurs et de continuer sur le chemin qui lui était tracé d’avance par ses talents prodigieux à servir exclusivement ses semblables, il a choisi un autre chemin, improbable celui-là.
Un chemin qui honorait ce qu’il y a de bon et de noble dans sa culture, oui. Mais un chemin qui utilisait ces mêmes éléments pour servir un dessein plus grand : trouver un terrain d’entente pour les gens de croyances différentes.
Laurier a vu clair, peut-être plus clair qu’aucun autre Canadien; il a vu qu’ici, en ces terres, une nouvelle idée voyait le jour. Une nouvelle façon de vivre ensemble était envisageable.
Il savait que son pays avait été fondé et bâti par des gens qui s’étaient fait la guerre pendant des siècles sur leur continent d’origine. Anglais contre français. Catholiques contre protestants.
Ces conflits avaient traversés l’Atlantique avec eux.
Mais voilà qu’une chose extraordinaire se produit. Malgré le fait que les Anglais eurent été victorieux sur les champs de bataille, les deux camps avaient gagné le même degré de liberté.
Dans un des passages les plus émouvants de son discours, lorsqu’il parlait du monument des plaines d’Abraham, Laurier a dit :
« Dans quel autre pays sous le soleil pouvez-vous trouver un tel monument érigé à la fois à la mémoire des vainqueurs et des vaincus? Dans quel autre pays sous le soleil trouverez-vous les noms des vainqueurs et des vaincus honorés à la même échelle et occuper la même place de respect au sein de la population? Où est le Canadien qui, lorsqu’il compare son pays avec les pays les plus libres, ne serait pas fier des institutions qui le protègent. »
Mais le but de ce récit ne concerne pas ce moment remarquable de notre histoire. Le but est de réaliser tout ce qui s’est passé depuis.
Ceci est notre héritage. Un héritage qui a été renouvelé, génération après génération, jusqu’à ce jour.
Deux peuples jadis ennemis se sont mis ensemble pour construire une Constitution et des institutions qui garantissent leur liberté, non seulement la leur, mais celle de tous ceux qui viendraient après eux.
Se sont joints à eux pour continuer ce grand projet à travers le temps, des gens de toutes les cultures, religions et origines imaginables.
Des milliers de jeunes hommes et femmes qui choisissent de mettre l’accent sur ce qu’il y a de généreux dans leurs traditions. Des gens libres qui choisissent d’utiliser la générosité d’esprit qui est à la base de toutes les croyances pour trouver un terrain d’entente avec ceux dont les croyances divergent des leurs.
Et comme il est écrit dans le Saint Coran :
« Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent: ‘Paix’ » (Al Furqan 25:63)
Cela n’a jamais été facile. Cette route n’a jamais été paisible et sans embuche. Des générations de Canadiens ont dû surmonter des différences profondément encrées. Ils ont fait le choix éclairé de tourner le dos à la rancœur et au conflit.
Mais aujourd’hui, grâce à eux, nous avons la chance de vivre dans le pays le plus diversifié dans l’histoire du monde. Un des pays les plus pacifiques et prospères.
Un pays qui a outrepassé l’objectif de la simple tolérance. Parce que dire « je te tolère », c’est permettre à contrecœur à l’autre de respirer le même air, de marcher sur les mêmes terres que soi.
Et alors qu’il y a beaucoup d’endroit dans le monde où la tolérance n’est encore qu’un rêve qu’on caresse, au Canada, nous avons surpassé cette étape. Alors n’utilisons pas le mot tolérance. Parlons plutôt d’acceptation, de compréhension, de respect et d’amitié.
Ici, nous en sommes venus à une nouvelle prise de conscience, ensemble : un pays peut être fort, non pas en dépit de sa diversité, mais grâce à celle-ci.
Ceci est aujourd’hui notre histoire, la mienne et la vôtre. L’histoire de notre pays, le Canada.
Donc, alors que cette fin de semaine vous entamez une réflexion sur l’avenir, pensez avec votre cœur. Sachez que les difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui ont été surmontées par d’autres avant nous. Sachez que les sentiments contradictoires que vous ressentez dans vos cœurs ont été ressentis par d’autres avant vous. Sachez que le compromis et la modération ne sont pas des signes de faiblesse, mais bien des signes de courage et de force. Il y a toujours une voie constructive dans ce pays pour ceux qui cherchent un terrain d’entente.
Mais avant tout, rappelez-vous ceci : notre héritage doit être constamment renouvelé par ceux qui partagent la vision de Laurier.
Quand les gens se rassemblent pour créer des opportunités, les rêves communs qu’ils caressent vont toujours surpasser les peurs qui pourraient les diviser.
Parce que ce n’est pas la classe politique, mais bien la classe moyenne, qui soude ce pays. Ouverte sur le monde, notre classe moyenne élargie et diversifiée est le centre de gravité du Canada. Des bonnes personnes. Des personnes avec des espoirs communs et des défis communs, qui s’assemblent pour trouver un terrain d’entente.
Il y a déjà assez de forces dans le monde qui déchirent et divisent les gens, qui nous isolent et nous rendent méfiants les uns des autres.
Hier, des manifestants ont essayé de m’empêcher de prendre la parole dans une école à cause de mes positions défendant le mariage gai et les droits des femmes.
Et, comme vous le savez, certains conservateurs ont aussi essayé de semer la controverse sur ma présence ici aujourd’hui. Ils ont tenté de faire appel à la peur et aux préjugés, alors que ce rassemblement a été mis en place exactement pour combattre de tels sentiments.
Maintenant, sachez que je respecte leur droit d’exprimer leurs opinions.
Mais je veux que vous sachiez que je me tiendrai toujours debout face à la politique de la peur. C’est un grand manque de vision que de monter certains groupes de Canadiens contre d’autres. Peut-être que quelques personnes se sentiront mieux pendant un moment. Ce sera peut-être même un succès politique pendant un moment.
Mais ce n’est pas une manière de bâtir un pays. Et encore moins CE pays. Ce n’est pas nous, ça.
Nous sommes ici aujourd’hui pour faire ce que les Canadiens font ensemble depuis des générations. Nous honorons notre diversité à travers l’amitié et l’ouverture d’esprit, pour être en mesure de bâtir un avenir positif et partagé.
Alors je m’unis à vous dans votre engagement envers un avenir plus prometteur. Engageons-nous à bâtir un pays qui rassemble les gens, qui trouve son compte dans le compromis, la modération et la quête d’un terrain d’entente.
Presque 30 ans après ce premier discours, lors de son 3e mandat en tant que premier ministre, Laurier a expliqué sa vision comme suit à un auditoire d’Edmonton.
« Nous ne souhaitons ni ne voulons que l’individu oublie le pays de ses origines. Que chacun se tourne vers le passé mais que chacun porte surtout son regard vers l’avenir. Que chacun voie la terre de ses ancêtres, mais aussi la terre de ses enfants. Que chacun devienne Canadien et donne son cœur, son âme, son énergie, tout son pouvoir au Canada. »
Voilà ce que nous souhaitait Laurier. Et c’est ce que je vous souhaite. Soyez optimistes et positifs, mes amis.
Votre pays a besoin de vous.
Que la paix, la miséricorde et les bénédictions soient avec vous.