Le gouvernement qui va succéder au régime Assad pourrait s’avérer encore pire que le totalitarisme existant comme ce fut le cas en Libye. Voilà un des principaux arguments avancés par Daniel Pipes contre une intervention occidentale en Syrie.
RÉSUMÉ – Le gouvernement qui va succéder au régime Assad pourrait s’avérer encore pire que le totalitarisme existant comme ce fut le cas en Libye. Voilà un des principaux arguments avancés par Daniel Pipes contre une intervention occidentale en Syrie.
Original English version available on DanielPipes.com
Cet article de Daniel Pipes a été publié par le Washington Times le 13 juin 2012 sous le titre Stay out of the Syrian Morass. La version originale anglaise est disponible sur DanielPipes.com. La traduction française d’Anne-Marie Delcambre de Champvert est également disponible sur le site de Daniel Pipes.
Daniel Pipes est président du Middle East Forum et membre de la Hoover Institution de l’Université de Stanford.
Alors que le gouvernement syrien fait des efforts de plus en plus désespérés et brutaux pour garder le pouvoir, les plaidoyers pour une intervention militaire, plus ou moins sur le modèle libyen, se font plus insistants. Cette solution est, assurément, d’un point de vue moral, séduisante. Mais est-ce que les États occidentaux doivent suivre ce conseil? Je ne crois pas.
Ces appels à agir se rangent dans trois principales catégories: une inquiétude des musulmans sunnites pour leurs coreligionnaires, une préoccupation universelle humanitaire pour arrêter la torture et l’assassinat, et une inquiétude des géopoliticiens concernant le conflit en cours. Les motifs des deux premières catégories peuvent être assez facilement éliminés. Si les gouvernements sunnites, notamment ceux de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar – choisissent d’intervenir au nom de leurs coreligionnaires sunnites contre les alaouites, c’est leur droit, mais les États occidentaux n’ont rien à gagner dans cette lutte.
Les préoccupations humanitaires de type généralités sont confrontées à des problèmes de véracité, de faisabilité, et de conséquences. Les insurgés anti-régime gouvernemental qui gagnent sur le champ de bataille, semblent responsables d’au moins quelques atrocités. Les électorats occidentaux peuvent ne pas accepter [de verser] le sang et l’argent nécessaires pour l’intervention humanitaire. Il faut réussir rapidement, disons en moins d’un an. Le gouvernement qui va succéder peut (comme dans le cas libyen) s’avérer encore pire que le totalitarisme existant. Mis ensemble, ces facteurs plaident de manière convaincante contre l’intervention humanitaire.
Les intérêts de la politique étrangère devraient avoir la priorité parce que les Occidentaux ne sont pas si forts et si en sécurité qu’ils puissent voir la Syrie uniquement sous l’angle de la sollicitude pour les Syriens ; ils doivent plutôt envisager le pays de façon stratégique, en faisant passer avant tout leur propre sécurité.
Robert Satloff , [directeur exécutif (NDLT)]du Washington Institute for Near Eastern Policy (Institut Washington pour la Politique au Proche Orient), a fait un résumé bien utile dans The New Republic [magazine américain d’opinion(NDLT)] des raisons pour lesquelles une guerre civile syrienne constitue un danger pour les intérêts américains: le régime d’Assad pourrait perdre le contrôle de son arsenal chimique et biologique ; il pourrait renouveler l’insurrection du PKK contre Ankara ; il pourrait régionaliser le conflit en poussant sa population palestinienne vers la Jordanie, le Liban, et les frontières israéliennes ; il pourrait lutter contre les sunnites du Liban, et rallumer la guerre civile libanaise. Les guerriers djihadistes sunnites, en réponse, pourraient, eux, transformer la Syrie en centre de réseau mondial de terrorisme islamiste violent – en bordure de l’OTAN et Israël. Enfin, il s’inquiète de ce qu’un long conflit donne aux islamistes de meilleures chances que ne leur donne un conflit qui se termine rapidement.
Ce à quoi je réponds ceci: Oui, les armes de destruction massive pourraient aller aux voyous mais je m’inquiète plus au sujet du fait qu’elles pourraient se retrouver entre les mains d’un gouvernement islamiste qui prendrait la succession. Une insurrection renouvelée du PKK contre le gouvernement hostile gouvernant la Turquie, ou des tensions entre sunnites et alévis dans ce pays, pourraient difficilement être considérées comme faisant partie des principales préoccupations de l’Occident. L’expulsion des Palestiniens déstabiliserait à peine la Jordanie ou Israël. Le Liban est déjà dans une situation catastrophique de balkanisation, et, par opposition à la période 1976-1991, le conflit interne en cours n’affecterait que légèrement les intérêts occidentaux. L’effort du jihad mondial dispose de ressources limitées; l’emplacement est peut-être loin d’être idéal, mais quoi de mieux pour le jihad mondial que lutter à mort en Syrie contre les Pasdaran (Gardiens de la Révolution iranienne d’Iran)?
Sur le fait que la durée [du conflit] va à l’encontre des intérêts occidentaux: même si le conflit prenait fin immédiatement, je prévois qu’il n’y a pratiquement aucune chance de voir émerger un gouvernement pluriethnique et pluriconfessionnel. Tôt ou tard, une fois que Assad et sa charmante épouse auront décampé, les islamistes vont probablement s’emparer du pouvoir, les sunnites vont se venger, et les tensions régionales se feront jour au sein même de la Syrie.
En outre, le renversement du régime Assad ne signifie pas la fin immédiate de la guerre civile en Syrie. Ce qui est le plus probable c’est que la chute d’Assad va conduire les Alaouites et d’autres éléments basés en Iran à s’opposer au nouveau gouvernement. En outre, comme Gary Gambill le souligne, l’engagement militaire de l’Occident pourrait enhardir l’opposition au nouveau gouvernement et prolonger les combats. Enfin (comme ce fut le cas auparavant en Irak), un conflit prolongé en Syrie offre certains avantages géopolitiques:
- Il diminue les possibilités qu’a Damas de commencer une guerre avec Israël ou de réoccuper le Liban.
- Il augmente les chances que les Iraniens, qui vivent sous la férule des mollahs qui sont des alliés essentiels pour Assad, s’inspirent de l’insurrection syrienne et même se rebellent contre leurs dirigeants.
- Il rend les pays arabes sunnites encore plus furieux contre Téhéran, d’autant plus que la République islamique d’Iran a fourni armes, argent, technologie pour aider à réprimer les Syriens.
- Il réduit la pression qui pèse sur les non-musulmans: très révélateur cette nouvelle façon de penser est le fait que le leader salafiste Jordanien Abou Mohammed Tahawi ait récemment déclaré que “La coalition chiite et alaouite est actuellement la plus grande menace pour les sunnites, plus encore que les Israéliens.”
- Il provoque la fureur du Moyen-Orient à Moscou et à Pékin pour le soutien accordé au régime d’Assad.
Les intérêts occidentaux suggèrent [donc] de rester en dehors du bourbier syrien.
Références supplémentaires
Daniel Pipes (février 1987) : La Syrie après Assad
Daniel Pipes (1989) : La conquête alaouite du pouvoir en Syrie
Point de Bascule ( 28 février 2012 ) : En quittant la Syrie, le Hamas confirme ses liens avec le réseau des Frères Musulmans
Point de Bascule (7 mai 2012) : Le cri du cœur d’une religieuse de Syrie