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Critique d’un livre qui présente le voile islamique comme le «phare d’une nouvelle idéologie […] tentaculaire [qui] ressemble au nazisme»
Auteure : Martine Turenne
Référence : La Presse, dimanche 17 novembre 1996, p. B6
Titre original : Le voile, phare d’une nouvelle idéologie
L’intégrisme islamique, idéologie tentaculaire dans tout le monde arabe, ressemble au nazisme : foi aveugle, ferveur exagérée, obéissance et loyauté sans faille sont à l’agenda. Et la manière dont il embrigade les jeunes et les emplit de haine, écrit Yolande Geadah dans son essai, Femmes voilées, intégrismes démasqués, prouve que l’islamisme glisse vers la même idéologie purificatrice. «La vision intégriste porte en elle les germes des pires persécutions religieuses.» Elle nie les libertés individuelles et la simple dignité humaine, surtout celle des femmes.
Yolande Geadah, consultante en développement international et étudiante au doctorat en sciences politiques, ne mâche pas ses mots pour décrire la bête qui est en train de bouffer la société civile des pays arabes. Elle a été en mesure de constater les dégâts faits par l’intégrisme (ou les intégrismes) dans son pays d’origine, l’Égypte, où elle est retournée vivre deux ans au début des années 90.
Le pays qu’elle nous décrit donne des frissons dans le dos. Le recours à la violence physique et verbale est devenu monnaie courante pour obliger les membres de cette société – autrefois tolérante – à se conformer à un modèle de religiosité de plus en plus oppressant. En fait, c’est toute la société égyptienne qui est passée à la moulinette islamiste.
Les femmes sont les premières visées. L’intégrisme islamique a fait de leur soumission une véritable obsession.
Car si l’islam, à ses origines, se voulait une religion de «libération» pour les femmes (elles étaient à cette époque, dans le meilleur des cas, des esclaves), le discours du Prophète, explique Mme Geadah, s’est cristallisé et fossilisé sous les assauts des tenants les plus conservateurs de ces sociétés.
Le voile
L’une des manifestations les plus éloquentes de l’intégrisme reste le voile. Qui n’est pas, écrit l’auteur, qu’un simple bout de tissu. C’est l’instrument politique d’un raz-de-marée religieux, le phare du mouvement islamiste.
Yolande Geadah explique avec minutie comment le voile s’est réintroduit dans toutes les couches de la société égyptienne, à commencer par les universitaires des années 70 qui voulaient protester contre l’échec des modèles «laïques» importés d’Occident. Aujourd’hui, un grand nombre de musulmanes instruites et urbanisées sont voilées en Égypte alors qu’elles ne l’étaient pas il y a deux décennies. «Le discours religieux, écrit l’auteur, a réussi à convaincre une grande partie de la population que le port du voile est une obligation religieuse islamique incontournable ou, à tout le moins, l’expression d’une affirmation identitaire nécessaire face à l’occidentalisation néfaste.»
Impossible aujourd’hui dans le monde islamique de simplement discuter cette question. «Le débat exclut toute rationalité», écrit Yolande Geadah. Les intégristes se réservent le droit exclusif d’occuper la sphère religieuse et hurle à l’apostasie dès que se pointe l’ombre d’un contre-discours.
L’intégrisme a de profondes répercussions psychologiques sur les individus. «Le voile s’impose non seulement sur la tête des femmes, mais dans l’esprit et les valeurs de tous, écrit l’auteur, et il contribue à restruturer toute la vie sociale.» Les exemples qu’elle donne sont nombreux. Mais le plus pathétique est cette vieille femme, très décemment vêtue mais non voilée, harcelée et insultée par une horde de jeunes garçons dans les rues d’un village. «Cette scène, qui m’a serré le coeur, m’a paru totalement invraisemblable dans le cadre de la culture populaire égyptienne.»
Au Québec
Dans tous les pays occidentaux, la question du voile s’est posée, ou va se poser. «Au Québec, nous sommes au début du processus d’expansion du voile, écrit Yolande Geadah, et de l’activisme islamiste qui s’organise tranquillement à nos portes et dans nos murs.»
Mais comment les sociétés démocratiques doivent-elles réagir face à ce symbole de soumission de la femme? Difficile question qui n’apporte pas de réponses simples non plus. «Car si on ne peut rejeter ces femmes voilées, écrit l’auteur, on ne peut non plus fermer les yeux sur ce qu’elles représentent pour nos sociétés.» Le paradoxe – et la difficulté de trancher sur cette question – tient au fait que l’intégrisme religieux se réclame des valeurs démocratiques pour s’étendre alors qu’il nie et rejette ces mêmes valeurs.
Alors que faire? Il y a ceux qui prônent la «liberté» de se voiler, écrit Geadah, parmi lesquels on retrouve «les éléments les plus conservateurs de notre société, toutes religions et cultures réunies». La rectitude politique pousse aussi plusieurs intellectuels de tendance libérale à appuyer les revendications religieuses ou culturelles au nom du droit à la différence. Une attitude qui apparaît à Yolande Geadah «inconséquente et irresponsable».
Mais interdire trop brutalement le voile – et il y a chez certains tenants de cette position quelques xénophobes, note l’auteur – peut radicaliser les positions islamistes. Il s’agit donc de savoir où ira notre solidarité : du côté de ceux qui se portent volontaires pour fabriquer de «nouvelles traditions», écrit-elle, restrictives pour les musulmanes, ou de ceux qui cherchent à y résister. Une des leçons de l’histoire récente sur le voile à l’école, note l’auteur, est qu’il est plus aisé de fixer des restrictions au début du processus d’expansion que de faire marche arrière par la suite.
Femmes voilées, intégrismes démasqués est un essai pertinent qui dresse un excellent bilan de l’état du débat. Yolande Geadah connaît la société arabe de l’intérieur, elle sait ce que les femmes y vivent, ses constats en sont doublement percutants.
Quelques réserves cependant : des répétitions, des incursions dans le conflit israélo-palestinien qui arrivent un peu de nulle part, des allusions aux intégrismes juifs et chrétiens qui auraient eu intérêt à être plus étoffés. Et des accusations répétées et très sévères sur le rôle des médias dans la diabolisation de l’islam, accusations qui ne se fondent malheureusement sur aucun exemple concret.
FEMMES VOILÉES, INTÉGRISMES DÉMASQUÉS, Yolande Geadah. VLB éditeur, Montréal, 1996, 293 pages.
Illustration(s) :
Le voile à l’école Saint-Luc : au Québec, nous sommes au début du processus d’expansion du voile, estime Yolande Geadah.