AVERTISSEMENT
Point de Bascule n’endosse pas le contenu de ce document. Il est archivé sur ce site uniquement à des fins de référence.
WARNING
Point de Bascule does not endorse the content of this document. It is archived on this website strictly for reference purposes.
Aucune séparation du temporel et du spirituel dans l’islam, explique Salam Elmenyawi
Auteur : Mathieu Perreault
Référence : La Presse Plus, 13 octobre 2001, p. B5
Titre original : Dieu est-il fanatique? La séparation de l’Église et de l’État est étrangère à l’islam
“Dieu est-il fanatique?” Dérangeante, la question que posait en 1996 le livre de Jean Daniel, le directeur de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, a une résonance particulière aujourd’hui, constate notre journaliste.
La religion est-elle responsable du fanatisme qui déchire l’Irlande du Nord, le Cachemire, et qui a détruit les tours du World Trade Center ?
” Non, Dieu n’est pas fanatique : les textes sacrés peuvent dire tout le contraire “, assure M. Daniel, en entrevue téléphonique avec La Presse. Lui-même juif algérien, il a grandi ” à l’ombre des trois grands monothéismes “. Il se définit ” le plus religieux des incroyants ” : ” Je ne cherche ni à définir la transcendance ni à adhérer à une foi, mais je suis persuadé que l’homme s’insère toujours dans un environnement, une tradition et un comportement collectif à référence religieuse. “
À la base existe un besoin d’absolu, de certitude, qui est satisfait par la parole révélée par Dieu. ” Le besoin d’absolu chez l’homme est évident, dit M. Daniel. Les mystiques s’accomplissent dans un rapport personnel avec Dieu. Mais c’est trahir l’absolu que de l’imposer aux autres, comme le veulent les fanatiques. Ils instrumentalisent la parole révélée, l’absolu, pour l’application du pouvoir. “
Pour éviter de passer du besoin d’absolu à l’abus de pouvoir justifié par cet absolu, un concept-clé est né : la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, de l’Église et de l’État. Sans cette séparation, la volonté individuelle est toujours subordonnée aux rites religieux.
Le journaliste français croit que cette question est à la base de la vague actuelle de fanatisme islamique : ” Contrairement au judaïsme et au christianisme, l’islam n’a pas dans ses textes religieux de passages justifiant la séparation du temporel et du spirituel. Jésus, par exemple, dit ” Rendez à César ce qui est à César “, et que son royaume n’est pas de ce monde. C’est pour cette raison que l’Église catholique a pu accepter la séparation de l’Église et de l’État. ” À l’archevêché de Montréal, on confirme que ” la séparation de l’Église et de l’État est consommée depuis longtemps “.
Temporel et spirituel
L’affirmation choque : il existerait donc une caractéristique fondamentale de l’islam qui l’empêcherait d’accepter l’État laïc et la liberté de conscience. Un rapide tour d’horizon de divers spécialistes du monde arabe, à Montréal et ailleurs, confirme la thèse de M. Daniel. Parfois à contrecoeur : à l’École des hautes études de sciences sociales de Paris, le politologue Éric Mussel, spécialiste de l’Iran, souligne que la Turquie était un exemple parfait d’État laïc, de séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Mais il admet que le gouvernement turc n’a jamais pu légitimer de manière religieuse sa laïcité, parce que cette séparation ne peut s’enraciner dans les textes sacrés de l’islam. ” C’est bien pour ça que le monde arabe a autant de problèmes avec l’intégrisme aujourd’hui “, a dit M. Mussel.
Une visite à la mosquée de Saint-Laurent, appelée Centre islamique du Québec, jette un éclairage différent sur cette particularité de l’islam. La question de la séparation du temporel et du spirituel ne semble même pas délicate à l’imam Syed Fida Bukhari et à Salam Elmenyawi, président du Conseil des musulmans de Montréal, qui recevaient La Presse. Pour eux, pas de séparation possible : l’État devrait toujours voir à ce que les croyants respectent les principes de la religion.
” Dieu a envoyé des messages à travers tous les prophètes, d’Adam à Mohammed, mais il n’a jamais changé d’idée, assure M. Elmenyawi. Une chose est claire : il ne veut pas de séparation entre l’Église et l’État. La religion doit guider le gouvernement, pour qu’il prenne de meilleures décisions. Prenez les deux citations de Jésus que vous mentionnez. ” Mon royaume n’est pas de ce monde ” signifie que nous ne devons pas viser les désirs matériels. ” Rendez à César ce qui est à César ” est une réponse aux pharisiens qui voulaient le piéger : s’il disait de ne pas payer les impôts, et de donner plutôt l’argent à ceux qui en avaient besoin, il allait en prison ; s’il disait de payer ses impôts plutôt que de faire l’aumône, il n’était pas un prophète. La réponse de Jésus signifie que l’argent ne sert à rien aux pauvres, qui ont plutôt besoin de nourriture et de vêtements. “
Si l’islam est suivi correctement, il n’opprimera personne, même si c’est la religion d’État, assurent l’imam Bukhari et M. Elmenyawi. En Occident, la séparation de l’Église et de l’État permet d’éviter des excès comme l’Inquisition et les croisades. M. Elmenyawi sourit. ” Cet argument équivaut à rester à la maison parce qu’il y a des voleurs dehors. Il y a tellement de bonnes choses dans la religion, il ne faut pas s’en défaire simplement parce qu’une personne l’a mal appliquée. L’islam défend de convertir par la force (liberté de conscience). Et il respecte les membres d’une autre religion : les catholiques peuvent être jugés selon leurs lois, leurs femmes n’ont pas à porter le voile ; l’État islamique ne doit faire respecter l’islam que par les musumlans. On ne peut pas en dire autant au Canada : je suis forcé à me marier selon vos lois.”