Il y a eu deux colloques à Halifax la semaine dernière, l’un sur le droit des médias d’offenser, et l’autre sur les commissions des droits de la personne et la liberté d’expression. Schneidereit, chroniqueur au Halifax Chronicle-Herald et ancien président de l’Association canadienne des journalistes, était conférencier. Il critique la position pro-censure de la Commission des droits de Nouvelle-Écosse, qui milite pour l’Utopie du Bien et témoigne d’une grave incompréhension des fondements de la liberté d’expression.
Traduction de: Riding the censorship highway to utopia, par Paul Schneidereit, The Chronicle Herald, le 4 novembre 2008
La présidente de la Commission des droits de la personne de Nouvelle-Écosse, Krista Daley, semble être une charmante personne.
Mais nous ne vivons pas dans le même univers.
Dans le monde de Daley, tel qu’elle l’a décrit dans ses présentations à deux débats sur les Commissions des droits de la personne et la liberté d’expression la semaine dernière, les Commissions mènent un combat pour le bien – une plainte à la fois – en vue d’un monde idéal, un monde utopique où la haine n’existe pas et où les droits de tous sont également respectés et protégés.
Dans mon univers à moi, l’usage du mot « utopie » pour décrire l’objectif d’une politique est une sonnette d’alarme, une lumière rouge signalant qu’il faut se méfier des moyens proposés pour parvenir à cette «utopie».
Je suis favorable aux efforts en vue de rendre le monde meilleur. Mais n’oublions pas deux choses. Un : l’humanité est imparfaite, donc l’utopie est inaccessible. Deux : dans notre zèle pour y parvenir malgré tout, des gens ont infligé de terribles tragédies tout au long de l’histoire.
Ce qui nous amène à cette idée voulant que les commissions des droits de la personne devraient réprimer la liberté d’expression de ceux dont les paroles sont susceptibles d’exposer des personnes ou des groupes à la haine ou au mépris.
Est-ce que de telles restrictions accomplissent effectivement quelque chose? Existe-t-il une preuve quelconque que la censure change les croyances des gens? La répression des idées par l’État – car c’est fondamentalement de cela qu’il s’agit – conduit, en fait, au durcissement des opinions. La pensée évolue à travers des débats ouverts, parfois musclés, et non par leur suppression. Comme Mark Mercer, professeur de philosophie à Saint Mary’s l’a exposé lors du débat de jeudi dernier, ne pas exprimer sa pensée ne signifie pas faire preuve de tolérance envers les autres.
Pour Daley, bien que la liberté d’expression soit certainement importante, ce n’est qu’une fibre dans le tissu des droits de l’Homme, juste une autre patch – pour utiliser sa métaphore – dans la courtepointe des libertés. La liberté d’expression n’occupe pas une place spéciale dans ce panthéon, il faut donc trouver un équilibre entre cette liberté et tous les autres droits. Et c’est au gouvernement de le faire.
D’autres sirènes d’alarme. Dans mon univers, la liberté d’expression est la pierre angulaire qui soutient tous les autres droits. Je ne me souviens pas qui a inventé cette formule, mais je me rappelle qu’elle disait essentiellement ceci: «Enlevez-moi tous mes droits, mais laissez-moi la liberté d’expression. Avec cette liberté je peux reconquérir tous mes autres droits».
Ou comme l’a dit avec éloquence Noa Mendelsohn Aviv, directeur du projet sur la liberté d’expression de l’Association canadienne des libertés civiles lors du débat de samedi au King’s College: «Nous ne pouvons rechercher la vérité, lutter pour une société juste, protéger les intérêts des minorités, exposer l’injustice, sans avoir une presse libre et la liberté d’expression rangées dans notre poche arrière au cas où nous en aurions besoin».
Salman Rushdie, qui s’y connaît un peu sur les conséquences d’avoir offensé autrui, l’a résumé parfaitement. «Tout se rapporte fondamentalement à la liberté d’expression», a-t-il dit. «La liberté d’expression est la vie elle-même».
Nous devrions tous nous inquiéter de la menace que représente une bureaucratie nommée par le gouvernement avec des pouvoirs de décider ce qui est un discours « acceptable ». Le manque de cohérence dans les décisions des commissions des droits de la personne à travers le pays sur cette notion accroît cette inquiétude. Mais le plus inquiétant, c’est qu’il y a une preuve amplement suffisante pour nous convaincre que ceux qui manipulent les ciseaux de la censure ne comprennent pas du tout le problème. Après tout, ils luttent pour le bien. La liberté d’expression? C’est souvent juste un bouclier derrière lequel on se cache pour dire des vilaines choses à des gens qui ne peuvent pas, ou ne devraient pas avoir à se défendre.
Le problème, c’est que plus le gouvernement cherche à punir l’expression d’idées, plus les gens vont regarder au-dessus de leur épaule avant de dessiner une caricature cinglante ou d’écrire un reportage sur une personne (insérer le nom de la minorité la plus opprimée) dont les actions seraient autrement considérées d’intérêt public, de peur d’être étiquetés «haineux». C’est inhibant, et anathème à la liberté d’expression.
En fait, un moment particulièrement effrayant fut l’intervention de Daley qui, en réponse à une question sur l’impact qu’aurait la surveillance des médias par les commissions des droits, a répondu qu’elle-même n’y voyait rien qui puisse inhiber l’expression libre des idées.
Ma réaction a été: Eh bien, pourquoi le verriez-vous? Si un auteur ou un artiste s’auto-censure, ce ne sera pas très visible. Bien que c’est moins susceptible de se produire dans les grand médias – même si eux aussi sont certainement conscients des coûts – je peux facilement imaginer des journalistes travaillant pour des hebdomadaires dans de petites villes, évitant, par exemple, de rapporter une nouvelle, soit de leur propre chef ou parce qu’on leur a dit de le faire, de crainte que certains des protagonistes pourraient plus tard se plaindre de discrimination.
Je ne crois pas que les commissions des droits de la personne soient inutiles. Bien que parfois certaines de leurs décisions sur d’autres sujets défient le sens commun, les personnes qui sont victimes de discrimination doivent avoir un endroit où se tourner. Les commissions ne devraient pas, cependant, se mêler de liberté d’expression.
Voir aussi:
Plainte à la police de Halifax par un Centre islamique pour une caricature politique
Staline, Hitler, Pol Pot… et maintenant Macleans/Mark Steyn ?
Commissions des droits et censure : trahison de la position internationale du Canada
Caricatures de Mahomet : La saga Ezra Levant (la suite, mais c’est loin d’être la fin)