Bojan Ratkovic est étudiant en sciences politiques à l’Université Brock de Toronto. Lui et sa famille ont émigré au Canada en 1998 après s’être trouvés réfugiés à deux reprises en Croatie puis à Krajina. Il nous livre une intéressante analyse où il compare la situation du Kosovo à celle de l’Afghanistan.
En réponse à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, Washington a initié une coalition avec les États islamiques afin de contrer l’expansion communiste en Asie centrale. Les États islamiques qui ont pris part à la coalition (y compris l’Arabie saoudite ouvertement et l’Iran clandestinement) ont veillé à ce que le financement des combattants islamiques par procuration, les Moudjahiddins, devienne le modèle pour soutenir l’expansion islamique ailleurs. Le plan a été exporté avec succès dans les Balkans, où tant l’Arabie saoudite que l’Iran ont financé la violence musulmane en Bosnie, puis au Kosovo, essentiellement contre les Serbes chrétiens. Comme en Afghanistan, les islamistes jouissaient de l’appui de Washington en présentant faussement leur djihad comme une lutte pour être libérés de leurs agresseurs slaves. Mais quelles sont les conséquences de la stratégie de Washington?
Armer les Moudjahidins
En réponse à ce que le monde occidental a largement considéré comme un acte d’agression soviétique en Afghanistan, les États-Unis (vis-à-vis de la CIA et d’autres agences), avec le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, le Pakistan, l’Iran et la Chine ont commencé à armer lourdement la guérilla islamique luttant contre les forces gouvernementales de l’Afghanistan et l’armée soviétique. (Opération Cyclone) Les Américains ont trouvé des alliés adéquats dans les fondamentalistes religieux luttant pour débarrasser l’Afghanistan des « Russes impies » et pour établir un État islamique extrémiste. Comme le note le Dr Farrukh Saleem, «entre 1980 et 1989, la CIA a versé 6 milliards de dollars (d’autres estimations vont jusqu’à 20 milliards $) en armes, munitions, recrutement, mise en place d’un vaste réseau de madrasas, formation, alimentation et armement des recrues. Les « saints guerriers locaux afghans (Moudjahiddines) ont été rejoints par quelques 35000-50000 musulmans djihadistes venus de 43 autres pays, parmi lesquels un jeune extrémiste saoudien nommé Oussama ben Laden».
Comme William Blum l’a habilement fait observer dans son célèbre livre Killing Hope: US Military Interventions and CIA Interventions Since World War II, alors que les musulmans extrémistes en Afghanistan étaient présentés dans les médias occidentaux comme des «combattants de la liberté» contre les agresseurs communistes athées, les islamistes anti-Américains qui ont pris le pouvoir en Iran en 1979 et qui soutenaient les moudjahiddins afghans ont été régulièrement décrits en Occident comme terroristes, ultraconservateurs et anti-démocratiques. L’hypocrisie n’est pas passée inaperçue dans le monde, mais aux États-Unis la fin justifie les moyens: les Soviétiques se sont retirés de l’Afghanistan en 1989 après avoir échoué à vaincre les guérilleros Moudjahidin bien armés et, peu après, l’Union soviétique s’est effondrée. En 1992, le gouvernement de l’Afghanistan est tombé et les Moudjahidin ont pris la capitale Kaboul.
Les Talibans et Al-Qaida : un produit des Américains
Les Talibans, un mouvement d’extrémistes fondamentalistes islamiques afghans, ont pris le contrôle de l’Afghanistan en 1996 et créé «l’Émirat islamique d’Afghanistan». Les islamistes endurcis par la guerre et armés par les Américains ont mis en place la plus stricte interprétation de la charia dans l’histoire du monde musulman. Leur règne a été marqué par d’horribles sévices infligés à des femmes, des flagellations et des exécutions publiques, la lapidation, et le massacre des minorités ethniques. Les Talibans ont interdit la musique, la danse, le vol de cerfs-volants, le rasage de la barbe, l’affichage des images et des portraits, et beaucoup d’autres activités considérées comme «anti-islamiques». Les musées et autres sites culturels, dont les Bouddhas de la vallée de Bamyian, ont été profanés par la police religieuse des Talibans.
En 1996, Oussama ben Laden lui-même est retourné en Afghanistan où il a joui de la protection des Talibans jusqu’à l’invasion américaine en 2001. Al Qaïda de Oussama ben Laden a aidé les Talibans à établir le contrôle sur les régions problématiques de l’Afghanistan et dans les assassinats d’opposants politiques. Oussama ben Laden a louangé l’Afghanistan des Talibans comme étant le seul véritable État islamique existant. Le Département d’État américain a compilé une liste complète des atrocités commises conjointement par Al-Qaïda et les Talibans durant cette période.
Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les Américains ont été obligés de lancer leur propre invasion de l’Afghanistan afin de capturer Oussama ben Laden, de démanteler Al-Qaïda et de renverser le régime taliban hébergeant le terrorisme. Les enfants de la guerre contre les «Russes impies» s’étaient retournés contre leurs supporters américains et étaient devenus la plus grande menace pour le monde occidental dans la guerre au terrorisme. En décembre 2007, les forces de l’OTAN et les États-Unis, avec le nouveau gouvernement afghan «démocratique», continuent de combattre une guerre prolongée contre les guérillas islamiques Talibans dans tout le pays. C’est une situation difficile au sujet de laquelle les Russes savent peut-être une chose ou deux.
Aider les islamistes de l’UCK au Kosovo: le cycle continue
On pourrait penser qu’après leur expérience en Afghanistan, les Américains en particulier et l’OTAN en général se seraient rendu compte que le soutien des extrémistes islamiques dans le but de réaliser des objectifs stratégiques à court terme est une approche qui ne manquera pas de leur sauter au visage (souvent littéralement). À la suite de l’éclatement de la Yougoslavie et de la guerre civile qui a suivi, les États-Unis et l’OTAN se sont néanmoins empressés de condamner la façon dont la Serbie traitait les séparatistes albanais dans la province du Kosovo; les séparatistes albanais qui étaient dirigés par l’Armée de libération du Kosovo (UCK).
Classée par le gouvernement de Serbie et par la CIA comme une organisation terroriste illégale, l’UCK est d’une nature islamiste très extrémiste. Suivant l’exemple des moudjahiddins, les combattants de l’UCK ont entraîné le gouvernement de Serbie dans une longue guerre de guérilla à la fin des années 1990. Comme l’explique Chris Marsden, l’UCK a poursuivi une stratégie de déstabilisation de la province serbe du Kosovo par des actes de terrorisme dans l’espoir que les États-Unis et l’OTAN allaient intervenir. Ils ont pris des patrouilles serbes en embuscade et ont tué des policiers. “Les États-Unis et l’OTAN sont intervenus, fournissant du financement, des armements et, finalement, une aide militaire directe en bombardant la Serbie pendant 78 jours en 1999. En conséquence, les forces serbes se sont retirées du Kosovo et l’OTAN s’y est installé. En janvier 2008, l’OTAN maintenait toujours sa présence au Kosovo pendant que les États-Unis et d’autres pays occidentaux préconisent que le Kosovo devienne un état albanais musulman indépendant dirigé par l’UCK. Cela permettrait à l’OTAN de maintenir ses bases au Kosovo de façon permanente. À moins, bien sûr, que les islamistes albanais ne se retournent contre eux comme l’ont fait les islamistes afghans.
Le Conseil américain pour le Kosovo a maintes fois documenté les liens de l’UCK avec le terrorisme islamique et les Moudjahiddins. L’Al-Qaïda de Ben Laden a aussi eu une présence au Kosovo : un article du Washington Times a rapporté qu’Al-Qaïda a «à la fois formé et soutenu financièrement» l’UCK. Le Times de Londres a cité Fatos Klosi, le chef du service de renseignement albanais, comme disant que Ben Laden avait utilisé les agences humanitaires comme des devantures pour financer le terrorisme dans la région dès 1994, et que «des terroristes avaient déjà infiltré d’autres régions d’Europe à partir de bases situées en Albanie. Interpol estime que plus de 100000 passeports albanais vierges ont été volés lors d’émeutes l’année dernière, fournissant d’amples opportunités aux terroristes d’acquérir de faux papiers».
Comme pour l’industrie de l’opium dans l’Afghanistan des années ‘80, la criminalité organisée, la prostitution, la drogue et les réseaux de traite des êtres humains se sont accrus de manière substantielle au Kosovo durant l’insurrection de l’UCK. Comme en Afghanistan, les nombreuses opérations criminelles au Kosovo servent au financement du terrorisme islamique. L’UCK reste fermement aux commandes du Kosovo, ses membres ont obtenu d’importantes victoires dans les récentes élections, et la criminalité et l’extrémisme continuent de sévir dans la province séparatiste.
L’Afghanistan de l’Europe?
Alors même que le conflit en Afghanistan semble n’avoir aucune fin en vue, les États-Unis et l’OTAN semblent poursuivre la même stratégie au Kosovo qui a créé le gâchis afghan. Les Américains ne semblent pas réaliser que les extrémistes islamistes ne sont pas du genre reconnaissants, et que des objectifs stratégiques à court terme ne valent pas la création d’un autre «Émirat islamique» et d’un autre régime qui abrite des terroristes. La fin ne justifie pas les moyens!
Comme l’ont fait les Talibans en Afghanistan, les Albanais du Kosovo sont en train de détruire les églises chrétiennes, de profaner les cimetières et les sites culturels chrétiens et de terroriser les Serbes et les autres minorités non albanaises du Kosovo. Leur objectif de créer un état purement islamique, mené par des militants extrémistes endurcis, semble à portée de main. La seule chose qui manque, pour l’instant, est une Police Religieuse.
On ne s’étonnera donc pas si dans quelques années nous assistons à une invasion par l’OTAN de ses « alliés » islamistes albanais au Kosovo et à une longue guerre de guérilla contre eux aussi. Le complot pour un attentat terroriste contre Fort Dix, planifié par 6 terroristes djihadistes dont 4 Albanais du Kosovo (l’un d’entre eux était un tireur d’élite entraîné par l’UCK), semble être un prélude à ce que l’on peut s’attendre lorsque les islamistes albanais ne verront pas d’autre utilité dans la coopération avec les États-Unis et l’OTAN. La myopie de la politique étrangère américaine en Afghanistan est en cours de répétition au Kosovo, les leçons n’ont pas été tirées, et le monde est livré à l’anticipation des conséquences d’un «Émirat islamique» en Europe.
Par Bojan Ratkovic
Né à Osijek en Yougoslavie en 1987, Bojan Ratkovic a vécu les difficultés de la guerre civile yougoslave (1991-1995). Lui et sa famille se sont trouvés réfugiés à deux reprises, une fois dans la nouvelle République indépendante de Croatie, puis de nouveau dans la région contestée de la Krajina. En 1998, Bojan Ratkovic a émigré au Canada avec sa famille. Bojan Ratkovic est actuellement étudiant en sciences politiques à l’Université Brock en Ontario au Canada. Il est l’actuel Représentant étudiant du Département de sciences politiques de l’Université Brock et membre exécutif de l’Association des étudiants en sciences politiques de l’Université Brock.
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Canada – Mobilisation de Kosovars-Canadiens pour la reconnaissance du Kosovo
« Le Kosovo est serbe, comme le Massachusetts est américain » – Dantec
Aveuglement occidental – Semer la démocratie, récolter la charia