http://internacional.elpais.com/internacional/2016/11/26/mexico/1480179817_863445.html / Archive.Today
C’est lors de son passage à la Foire du livre de Guadalajara (Mexique) où on lui rend hommage pour son quatre-vingtième anniversaire que le Nobel de littérature Mario Vargas Llosa a appris la mort de Fidel Castro. Selon le journal espagnol El Pais, Vargas Llosa a réagi à la mort du Lider maximo en affirmant que «L’histoire ne pardonnera pas à Fidel Castro».
Comme tant d’autres jeunes d’Amérique latine et d’ailleurs dans le monde, le Péruvien Vargas Llosa avait été enthousiasmé par l’arrivée au pouvoir de Castro. Il a fait partie d’un comité de soutien de la révolution cubaine et a rencontré Castro à plusieurs reprises dans les années soixante. Il a fini par déchanter. En 2010, il a raconté une de ses rencontres avec Castro au Paris-Match :
[A]u milieu des années 60, [Castro] a créé les Unités militaires d’aide à la production [Umap]. C’était un doux euphémisme pour désigner des camps de travail. Les contre-révolutionnaires y étaient enfermés, côtoyant des délinquants de droit commun, mais aussi des artistes homosexuels, militants de la cause castriste, parmi lesquels il y a eu des suicides. Révolté, j’ai écrit une lettre à Castro, qui m’a reçu avec quelques autres écrivains connus. La conversation a duré toute la nuit, de 20 heures à 8 heures du matin. […] C’était une espèce de force de la nature. Il parlait, montait sur la table, racontait les embuscades qu’il avait déjouées contre les soldats de Batista dans la sierra Maestra. On lui demandait où était Che Guevara, qui avait disparu, il a tenté de nous faire croire qu’il pourrait réapparaître d’un moment à l’autre. C’était un monologue. On ne peut pas parler avec Castro, il faut l’écouter. Il n’a pas d’interlocuteurs, seulement des spectateurs. La scène était très impressionnante, mais cela ne m’a pas empêché de rompre officiellement avec lui, l’année d’après.
En 2015, Martin Masse, l’éditeur du Québécois Libre, aujourd’hui à l’Institut économique de Montréal, a produit, pour Le Devoir, un article dans lequel il a fait ressortir combien l’expérience castriste avait joué un rôle central pour convaincre Vargas Llosa des méfaits du collectivisme en général et du marxisme en particulier.
Martin Masse / Le Devoir : Dès l’adolescence, le jeune Mario constate que l’injustice prévaut dans une Amérique latine accablée par les dictatures militaires, par le racisme et par de profondes inégalités sociales et économiques. La lecture de l’autobiographie d’un résistant communiste allemand durant la période nazie […] Jan Valtin (Sans patrie ni frontières), cristallise ses frustrations. Il est pris d’une complète admiration pour ce personnage romantique.
[…] Comme bien d’autres jeunes rebelles de cette époque qui cherchaient une solution radicale aux problèmes qu’ils constataient autour d’eux, il se tourne alors vers le marxisme. […] Mario y rejoint des membres clandestins du Parti communiste, surnommé «El Grupo Cahuide», du nom d’un héros inca qui avait combattu les Espagnols.Fervents staliniens, ses amis et lui lisent et étudient Lénine, Marx et d’autres penseurs communistes. Mais Mario s’intéresse également à des auteurs existentialistes français comme Sartre, Camus et Merleau-Ponty, alors très en vogue en Amérique latine. Ce sont ces lectures qui, croit-il, lui ont permis de garder un certain sens critique face au dogme marxiste pendant cette période.
Lorsqu’un camarade le traite de «sous-homme» parce qu’il a beaucoup apprécié Les nourritures terrestres d’André Gide, également auteur d’un Retour de l’URSS qui l’a fait détester par les communistes du monde entier, le jeune homme décide de rompre avec El Grupo Cahuide et de rejeter une version trop dogmatique du communisme. Il continue toutefois de se considérer comme gauchiste.
C’est alors, en 1959, que les Barbudos triomphent de Batista. Avec toute une génération de jeunes idéalistes latino-américains, Mario se sent habité d’un intense enthousiasme. Il croit Fidel Castro et Che Guevara lorsqu’ils affirment que la révolution va transformer la société cubaine sans verser dans les excès du communisme, qu’elle représente un socialisme empreint de liberté.
En octobre 1962, alors qu’il travaille pour la radio et la télévision françaises, il est envoyé à Cuba pour couvrir la crise des missiles. C’est sa première visite sur l’île. La mobilisation qu’il observe contre une invasion américaine que tout le monde croyait imminente le remplit d’émotion. Tous les problèmes qui subsistent semblent s’estomper devant les gestes de solidarité, d’égalité et de générosité qu’il observe. Déjà un peu connu comme auteur, on l’invite à devenir membre d’un comité international pour la Casa de las Américas, une institution culturelle de la révolution. Cela lui permet de visiter l’île à plusieurs reprises et de militer en faveur de la revolution.
[…] Tout commence à changer à partir de 1966, lorsque commencent à circuler des informations sur les UMAP, les Unidades Militares de Ayuda a la Producción (Unités militaires d’aide à la production). En fait, il s’agissait de camps de concentration où l’on enfermait des dissidents politiques, des criminels de droit commun ainsi que les hommes et femmes homosexuels. […] Dans une lettre à Castro, il dit ne pas comprendre comment Cuba, l’île de la liberté, de la justice, pouvait engendrer quelque chose d’aussi injuste, d’aussi brutal.On l’invite alors, avec d’autres écrivains, à rencontrer le Lider Maximo. Celui-ci monopolise la conversation pendant douze heures consécutives. Vargas Llosa est impressionné par cette personnalité mythique, mais pas convaincu. Et il commence alors à se demander s’il n’a pas été leurré par son propre enthousiasme, par son désir de croire.
[…] Les années qui suivent vont finir de le convaincre que le rêve est impossible à réaliser, que c’est une utopie. Il vit «la plus terrible déception politique» de sa vie lors d’un voyage en URSS, notamment lorsqu’un auteur lui explique qu’il avait besoin d’un visa intérieur pour voyager de Moscou à Leningrad. En 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie par des troupes russes lors du Printemps de Prague confirme le caractère répressif du régime soviétique. Il rompt avec le communisme et conclut qu’il a perdu son temps pendant toutes ces années à lire sur le marxisme. […] C’est l’affaire Padilla qui lui fait perdre ses dernières illusions concernant Cuba. Ami de Vargas Llosa, Heberto Padilla, un poète important, avait renoncé à la poésie pour se consacrer à la révolution, en devenant notamment vice-ministre du Commerce extérieur. À la fin des années 1960, il se met toutefois à critiquer les politiques culturelles de la révolution. En 1971, il est accusé d’être un agent de la CIA et emprisonné. Cet événement provoque une forte réaction en Amérique latine, en particulier chez les intellectuels et les écrivains. Avec plusieurs autres personnalités des Amériques et d’Europe qui avaient soutenu la révolution, dont Sartre, Vargas Llosa signe un manifeste qui consacre une indépendance intellectuelle à laquelle il décide de ne plus jamais renoncer.Il découvre alors le libéralisme ; se met à lire d’autres auteurs français qu’il connaissait mais avait jugé trop repoussants jusque-là, des auteurs qui défendent la démocratie et la liberté. Raymond Aron et Jean-François Revel le marquent particulièrement. Il finit par comprendre, en lisant un essai d’Isaiah Berlin sur Marx, comment de bonnes intentions ont pu faire naître des monstruosités comme l’Union soviétique et la République populaire de Chine. Il lit également, «dans un état de transe», raconte-t-il, La société ouverte et ses ennemis de Karl Popper, qu’il considère aujourd’hui comme le penseur politique le plus important des temps modernes. Ces idées ne l’ont jamais quitté depuis.
Lectures complémentaires
La Presse (27 novembre 2016) : Pour Vargas Llosa, la mort de Castro entraînera celle du régime cubain / WebArchive – Archive.Today
Justin Trudeau / Déclaration du premier ministre du Canada (26 novembre 2016) : Nous pleurons avec le peuple de Cuba la perte d’un leader remarquable / WebArchive – Archive.Today
Philippe Couillard / Premier ministre du Québec (CBC News – 27 novembre 2016) : Ce sera aux historiens à trancher si le régime Castro a su respecter les droits de la personne / WebArchive – Archive.Today [Texte en anglais]
France-Presse / La Presse (18 décembre 2010) : Le Nobel de Littérature Vargas Llosa déclare le fondamentalisme islamique comme principal ennemi de la démocratie / WebArchive – Archive.Today – Point de Bascule
Le prix Nobel de Littérature 2010, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, a déclaré samedi au Chili que le fondamentalisme islamique avait remplacé le communisme comme principal ennemi de la démocratie.
«La culture de la liberté continue d’avoir des ennemis, et des ennemis extrêmement dangereux: le communisme a été remplacé par le fondamentalisme islamique comme principal ennemi de la culture de la démocratie dans le monde actuel», a estimé l’écrivain au cours d’une intervention qui clôturait un forum international organisé à Santiago sur les politiques publiques.
«[N]ous devons savoir nous défendre, pour ne pas permettre qu’en utilisant les institutions de la liberté, ils s’infiltrent dans nos sociétés et sèment la terreur», a-t-il ajouté.
Stéphane Courtois et al. (Éditions Robert Laffont – 1997) : Le livre noir du communisme (Section Cuba : l’interminable totalitarisme tropical)
Point de Bascule (21 mars 2016) : Qu’en est-il de la mosquée évoquée par le président turc Erdogan qu’aurait observée Christophe Colomb au sommet d’une montagne à Cuba en 1492?