Le magazine Embassy publié par le ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) rapporte qu’une conférence sur l’islam s’est tenue à Ottawa la semaine dernière . Quoique le ministère demeure discret sur cette conférence, des participants et observateurs ont loué cette initiative qui, selon eux, améliorera la compréhension entre les musulmans et les gouvernements.
Des représentants des principaux pays occidentaux y ont discuté d’extrémisme, de dé-radicalisation des mouvements islamistes, des moyens de mieux intégrer la population musulmane et de la mobilisation de cette population dans l’élaboration de leurs politiques étrangères respectives.
Les hôtes de la conférence étaient le Groupe de travail sur les relations avec les communautés musulmanes du MAECI et le Engaging the Islamic World Group du Royaume-Uni.
La conférence a réuni des diplomates, des universitaires et des musulmans canadiens qui sont des leaders de la société civile. Plusieurs pays ont envoyé des délégations comprenant des spécialistes des relations avec les musulmans de leur ministère des affaires étrangères, dont le Royaume-Uni, les États-unis, la Nouvelle-Zélande, la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Hollande, la Slovénie et certains pays scandinaves.
Le MAECI a refusé de répondre aux questions sur la conférence. Plusieurs observateurs qui n’étaient pas au courant de la conférence, y compris des ambassadeurs arabes, ont toutefois exprimé leur soutien à cette initiative. Abdulaziz Al-Sowayegh, ambassadeur de l’Arabie-saoudite, a déclaré que ces rencontres sont un pas dans la bonne direction. « Une politique importante de l’Arabie saoudite et des pays musulmans consiste à rechercher des terrains d’entente et à demander à l’Occident d’approfondir sa compréhension de l’islam. Je pense que ce genre de rencontres est une étape positive pour les pays chrétiens de l’Occident » a-t-il déclaré.
Les ambassadeurs d’Irak et des Émirats arabes unis ont aussi déclaré à Embassy qu’ils soutenaient l’initiative. Selon un porte-parole du Haut Commissaire du Royaume-Uni « la conférence a offert un forum utile pour comparer les pratiques internationales en matière de promotion de la démocratie, des droits humains et de la bonne gouvernance et aussi pour contrer la radicalisation dans les communautés islamiques à l’étranger. Des représentants de la société civile ont aussi été invités à discuter de ces questions importantes avec des décideurs clé et ils ont offerts des réflexions qui sont importantes pour orienter notre travail. ».
Lors de la première journée de la conférence, les délégués ont entendu le point de vue des conférenciers invités. Trois vastes sujets ont été abordés : les tendances de la « radicalisation » et ce qui peut être fait pour contrer ce phénomène, les manières de mieux mobiliser et intégrer les populations musulmanes domestiques, et la manière de profiter des connaissances de ces populations pour améliorer la politique étrangère.
Aisha Sherazi, une ancienne directrice de la Abraar Islamic School d’Ottawa et maintenant conseillère de la Gendarmerie royale du Canada sur les relations avec les communautés musulmanes, dit qu’elle a été invitée à parler de la manière d’impliquer les communautés musulmanes dans le développement de politiques. Selon elle, le Canada a développé de bonnes pratiques qu’elle recommande aux autres pays de suivre. Elle ajoute que le Canada est un bon exemple à plusieurs égards sur la manière de transiger avec les populations musulmanes domestiques et étrangères. Par exemple, elle cite le fait que l’ambassadeur du Canada en Afghanistan, Arif Lalani, soit un musulman et un expert de l’Asie centrale. Elle reconnaît que malgré que ces fonctions doivent être confiées à des candidats qualifiés, le fait de bénéficier d’un envoyé qui est familier avec l’Islam est un avantage.
Mme Sherazi a aussi donné des exemples de l’utilisation d’Internet pour rejoindre les musulmans et combattre l’extrémisme en intégrant les populations musulmanes dans les délibérations démocratiques. C’est la mission du panel indépendant mis sur pied par le premier ministre Stephen Harper pour le conseiller sur le rôle futur du Canada en Afghanistan. Ce panel sollicite activement le point de vue des musulmans canadiens. Il dispose d’un site web qui invite les internautes à laisser des commentaires. Différents groupes communautaires sont spécifiquement invités à donner leur opinion.
Mme Sherazi a aussi cité en exemple le blogue public établi (jusqu’à récemment) par l’ambassadeur britannique en Afghanistan, Sir Sherard Cowper-Coles.
L’importance de consulter les groupes musulmans
Alia Hogben, présidente du Conseil canadien des femmes musulmanes, a aussi parlé de la manière d’impliquer les populations musulmanes domestiques dans le développement des politiques.
Elle a recommandé que les gouvernements tirent avantage des connaissances et de l’expertise des populations musulmanes domestiques, mais en faisant toutefois certaines mises en garde. Selon Ms Hogben, il est important de consulter un large éventail de groupes et de gagner une bonne compréhension des politiques et des ambitions de chacun d’eux pour être en mesure de mettre leur vision en perspective. Sinon, les pays risquent d’être trop influencés par un groupe, ce qui pourrait donner une crédibilité indue à des idées illégitimes.
Ms Hogben recommande l’identification des groupes qui offrent un message calme, raisonnable et rationnel et qui ne prêchent pas la ségrégation. Elle a aussi parlé de certaines politiques canadiennes qui rendent les musulmans canadiens mal à l’aise, comme la liste d’interdiction de vol, la perception de harcèlement envers les musulmans par les officiers de la sécurité, et les certificats de sécurité privatifs de certains droits. « Toutes ces choses, qu’elles nous arrivent à nous personnellement ou à des personnes que nous connaissons, contribuent à hausser le niveau d’anxiété », dit-elle.
Ms Hogben a aussi dit aux délégués que les gouvernements devraient choisir avec soin les mots qu’ils emploient pour traiter des questions controversées impliquant le Moyen-Orient. Elle cite en exemple les paroles du premier ministre Stephen Harper qualifiant l’invasion du Sud Liban par Israël en 2006 de « riposte proportionnée. « Ce type de discours peut provoquer les musulmans sans raison », dit-elle. « Ceci n’était pas un commentaire impartial du premier ministre du Canada. Pourquoi n’a-t-il pas dit aux deux pays que ce n’était pas raisonnable? Ms Hogben a conclu en disant que malgré tout, « le sentiment général chez les musulmans canadiens en est un de satisfaction et de fierté ».
Un certain nombre de conférenciers se sont aussi adressé à la délégation. Parmi eux : Omar Ashour, professeur à l’Université McGill et spécialiste de la radicalisation et de la dé-radicalisation des mouvements islamistes et de la politique du Moyen-Orient et de l’Asie centrale; Patrice Brodeur, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l’islam, le pluralisme et la mondialisation; Shamil Idriss, directeur du secrétariat de l’Alliance des civilisations des Nations-Unies; et Sheema Khan, chroniqueure au Globe and Mail et ex-présidente de CAIR-Canada (Canadian Council on American-Islamic Relations).
Des rencontres à huis clos se sont tenus la deuxième journée. Des délégués ont partagé les meilleures pratiques et discuté des expériences de leur pays avec l’islam, tant chez eux qu’à l’étranger.
Tous les conférenciers interrogés par Embassy pensent que leurs commentaires ont été entendus et appréciés. Certains ont félicité le MAECI pour son leadership. « C’est impressionnant que le Canada ait pris l’initiative d’inviter tous ces gens ici » a dit Ms Hobgen. « Je pense que c’est fantastique que le Canada ait assumé un rôle de leadership en réunissant tous ces gens. »
Paul Dewar, le critique des affaires étrangères du Nouveau Parti Démocratique, est d’avis que le Canada a vraiment besoin de rencontres de ce type. « Je pense que plus il y a de consultations, mieux c’est, particulièrement sur un sujet comme l’islam. Je pense qu’il y a beaucoup d’ignorance parmi les décideurs politiques sur l’islam et la gouvernance. » M. Dewar voit le Canada comme un pays qui pourra contribuer à améliorer les relations entre les musulmans et les non-musulmans dans le monde. Selon M. Dewar «le Canada peut bâtir des ponts entre les démocraties occidentales et les démocraties émergentes dans les pays islamiques. Le Canada a définitivement un rôle à jouer parce que nous inspirons confiance et que nous n’avons pas d’agenda caché. De plus, les autres pays comprennent que notre pays est un état fédéral qui connaît la diversité et qu’on peut servir d’exemple. Quoique des conférences comme celle-ci soit importantes, la prochaine étape sera de reconstruire notre infrastructure diplomatique. Le Canada pourrait faire beaucoup mieux dans le monde islamique s’il investissait davantage dans une main-d’œuvre informée ayant les habiletés de langue et les sensibilités culturelles voulues pour construire des ponts culturels avec les musulmans d’outre-mer.»
jdavis@embassymag.ca
Traduction, Point de BASCULE