Texte écrit pour Point de BASCULE par Jean-Jacques Tremblay, 28 ans.
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La fabrication en masse des victimes
Il y a actuellement des gens qui, en raison de leur nature physiologique, sexuelle, religieuse et/ou culturelle, sont privilégiés. Il y en a actuellement d’autres qui, en raison de leur essence physiologique, sexuelle, religieuse et/ou culturelle, sont discriminés. Voilà l’horizon moral et politique de l’époque. Rien de moins.
L’État compatissant, tel qu’incarné par tous les bien nichés, ingénieurs sociaux, thérapeutes sociétaux, clercs médiatiques et pédagogues ingénus qui lui donnent forme et motricité, se doit en conséquence de constamment travailler l’ordre social, désavantageant structurellement et symboliquement certaines catégories sociologiques de manière à en avantager certaines autres. Voilà, pour faire bref, la vision du monde qui offre à l’hystéro-progressisme contemporain ses conditions de possibilité et son plan de match, lui permettant au plan perceptif et discursif de découper la société en une mosaïque de groupes distincts mais non exclusifs, le tout en oeuvrant, au plan performatif et normatif, à instaurer une égalité matérielle et symbolique statistique entre ces divers groupes, des groupes flous qui, soulignons-le, tendent d’ailleurs à se fragmenter et à se multiplier exponentiellement plus on essaye de les cerner.
L’hystéro-progressisme est intrinsèquement paradoxal. Alors qu’il dépeint constamment la société comme le lieu d’un conflit entre catégories dominées et catégories dominantes, donnant par le fait même vie et tangibilité à ce conflit, il affirme pourtant contribuer activement à l’harmonie sociale. Prétendant sempiternellement s’opposer à un discours « dominant », il est profondément institutionnalisé et ne fait au final que persécuter un discours « populaire » dont il est la négation absolue. Relativiste mais simultanément dogmatique, il a réussi l’impossible : élever le relativisme, et donc l’idée qu’une vérité n’est pas meilleure qu’une autre, au rang de Vérité transcendante césarienne, obligatoire pour tout ce qui a l’incommensurable bonheur d’être classé « majoritaire ». Sélective et en dernière instance racialiste, cette doxa s’acharne systématiquement sur l’intégralité de ce qui, dans l’oekoumène occidental, relève d’une posture moindrement affirmatrice, le tout en s’appliquant à absoudre l’intolérance la plus crasse tant qu’on peut lui trouver une filiation exotique ou atypique. L’« Autre », cette éternelle victime du méchant « Même », est mignon, plus mignon, toujours plus mignon, mignon mignon mignon. Yeah!
L’interpellation du sujet en victime
La conséquence la plus évidente de l’hystéro-progressisme, ou encore de l’inter/multi-culturalisme institutionnellement et rhétoriquement dominant, eh bien c’est la scission de la société en deux clans, celui des bourreaux et celui des victimes. Cette division, énactée par un discours dissociatif des plus tranchants, opère en premier lieu sur le plan psychologique, au niveau de la subjectivation de l’individu. Fabricateur de subjectivités, ce discours n’est rien moins qu’une vision du monde qui, sous diverses formes, émane jour et nuit de la quasi-totalité de nos institutions. Ce discours, c’est une conception de la réalité sociale et individuelle qui, selon différentes approches, est massivement diffusée à tous et à toutes, imprimant ainsi en tout un chacun une orientation psychosociale définie ainsi qu’un positionnement subjectif auquel adhérer dans un conflit sociétal jugé évident.
Aux nouvelles du soir, dans les écoles et même dans les émissions de variétés, on vous explique ainsi sans cesse qui vous êtes par rapport à ceux que vous n’êtes pas. Constamment, on vous positionne et repositionne encore de manière à ce que vous intégriez la manière de sentir les choses qu’exige pour vous l’époque, une époque sous-tendue par un schéma de lutte des classes nouvelle vague, à la fois dual et multidirectionnel, qui emprunte pêle-mêle au sexe, à la religion, à la race, à la provenance géographique ainsi qu’au culturel. Partout et partout encore, on greffe à votre esprit une grille d’interprétation de la réalité sociale et politique, une grille qui peut être celle du cruel et homogénétique « majoritaire », celui qui doit expier ses propres fautes ou faire expier celles de son beau-frère, ou alors celle du pauvre « minoritaire », c’est-à-dire celui qui ne peut que lutter et se tenir debout en portant toujours plus haut, contre vents et marées, la flamme de son altérité radicale.
Vous ne savez pas qui vous êtes? Vous êtes désorienté? Pas de problème. L’air du temps va bien finir par vous interpeller, soit en tant que victime, soit en tant que bourreau. Et avec cette interpellation, viendra en bonus une merveilleuse grille d’interprétation, qui vous permettra d’appréhender les aléas de votre vie personnelle avec simplicité, le tout en découvrant la réelle nature de votre situation et de vos devoirs moraux. Vous faites partie du clan des victimes? Eh bien ne vous inquiétez pas! Les méchants, bien que toujours menaçants, sont bel et bien en laisse, et nous vous garantissons qu’ils disparaîtront très bientôt, méthodiquement transformés en caniches ou alors progressivement aspirés par le trou noir du festivisme LGBT. Dans tous les cas, n’ayez crainte. Le Projet collectif se chargera d’eux. Vitalpolitik.
Mais continuons.
Prenons, pour exemplifier les choses, l’inénarrable « Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles », dixit la Commission Bouchard-Taylor. Évidemment, ce qui poudre tout d’abord les yeux, c’est l’incroyable accomplissement des deux improbables qui, après avoir daigné consulter leur merveilleux peuple, ont eu l’audace de soutenir qu’il faudrait de toute urgence le remplacer, et ce, en en façonnant au plus vite un nouveau, ce qui est par ailleurs en train de se réaliser au moment même où l’on se parle. Nation-Laboratoire.
Mais au fond des choses, au-delà de ses incroyables aspects anthropologiques, cette fameuse commission, qu’a-t-elle vraiment dit, qu’a-t-elle vraiment « fait »? Eh bien sautons à l’essentiel, et constatons que B-T n’était en dernière instance rien de moins qu’un discours, qu’une histoire, qu’un spectacle porté par une narration précise, qu’un événement mettant efficacement en scène les deux nouveaux acteurs de la société : la majorité intolérante et le minoritaire opprimé, le tout tel qu’étroitement cadré par une diligente élite bien-pensante. Tout au long de B-T, ce qu’on a fait, c’est donner vie aux deux types de conscience individuelle destinés à fonder les personnages centraux du Québec de demain, un Québec qui est déjà celui d’aujourd’hui. B-T, c’est la mise en scène biaisée, médiatique et hyperbolique d’un affrontement, et c’est surtout une injonction globale, celle de s’identifier à l’un des deux groupes en cause et d’adopter les comportements prescrits et les modes perceptifs qui découlent de cette identification.
B-T, c’est la réalité du terrain telle que radicalement cadrée par les organisateurs de la chose, cadrage trompeur qui fut ensuite de nouveau recadré par les journalistes télévisés idéologiquement motivés qui en ont rendu compte, recadrage qui encore une fois fut accentué par les éditorialistes bien-pensants nous ayant fait don de leur énergie créatrice, rerecadrage encore une fois démultiplié par le professeur de Cégep qui, une fois Le Devoir déposé, s’en alla un bon matin endoctriner les enfants dont il était responsable, etc. Bouchard-Taylor, c’était une immense machine spectaculaire tout à fait surréaliste, une machine ayant résumé narrativement la société québécoise en la réduisant à deux types ontologiques absolus : les victimes gentilles et les bourreaux moyenâgeux. Peu importe que B-T ait été adopté politiquement ou pas, c’était tout simplement un manifeste qui offrait, à tous ceux qui la voulaient et même à ceux qui ne la voulaient pas, une grille d’interprétation de la réalité sociale, et qui sonnait du même pas l’heure du grand coming out pour tous ceux qui, stratégiquement nichés dans le système, auraient pu avoir le désir d’appliquer ses prescriptions tout en hissant bien haut le drapeau hystéro-progressiste, et ce, en toute légitimité et sans avoir à craindre de représailles.
B-T, c’est une vision du monde qui, sans avoir triomphé officiellement sur toute la ligne, a du jour au lendemain gagné aux yeux de plusieurs une légitimité absolument intégrale, le tout en achevant d’imposer son idéologie là où ça compte, c’est-à-dire dans les grands médias ainsi que dans l’éducation, là où l’on contrôle l’homme d’aujourd’hui et là où l’on fabrique celui de demain. Suite à B-T, les plus timides et hésitants parmi les déjà-convertis ont enfin pu se le tatouer sur le front et l’avouer ouvertement à leur grand-mère. B-T, c’est le grand manifeste d’une ère nouvelle déjà amorcée, c’est l’hystérie sociale-dadaïste la plus pure telle qu’elle s’échappe de la boîte de pandore. B-T, c’est l’idéaltype du discours dominant de l’époque, un discours qui était là avant et qui était encore plus là après.
Mais on s’éloigne. Recadrons. Recadrons.
Le bourreau et la victime. Deux nouvelles identités, deux nouveaux rôles, deux nouvelles subjectivités, toutes deux pilotées par une guilde de bourreaux repentants, tous très enthousiastes à l’idée de rythmer l’avancée pimpante de la galère infernale.
Narration omniprésente. Dans le majoritaire, c’est-à-dire dans le bourreau, se retrouve implanté un sentiment de culpabilité, alors que dans le minoritaire, c’est-à-dire dans l’opprimé, se retrouve imprimée la mentalité de la victime. Le théâtre de la réalité sociale telle que décrite par la doxa pluraliste d’aujourd’hui : des bourreaux lourdauds s’acharnant sans raison sur de pauvres victimes pourtant beaucoup plus raffinées, le tout sous fond d’un incessant sermon oeuvrant à ponctuer le Show en l’imbibant jusqu’à saturation d’un sens idéologique prédéfini. Et la narrativité de B-T, celle des méchants et des bons, c’est ce à quoi répond la structure générale du discours de l’époque, qui a d’ailleurs récemment atteint un point culminant lorsque les revendeurs de crack lanceurs de cocktails Molotov de Montréal-Nord, ceux-là mêmes qui ne provenaient même pas du quartier, se sont vus présentés comme de pauvres victimes, le tout en étant bonifiés de l’évidente volonté d’employer un langage des signes musclé pour promouvoir une plate-forme sociale-démocrate adaptée à leur condition de pipés-d’avance.
L’effet productif fondamental de la trame idéologique bourreau-victime, qui n’est rien d’autre que le paysage d’aujourd’hui, c’est d’engendrer et de façonner deux types distincts de subjectivité, deux manières d’être au monde. Ainsi, l’individu se retrouve constamment interpellé, soit en tant que victime, soit en tant que coupable, par un discours omniprésent. Et qu’elle le sache ou non, l’élite médiatique, journalistique ou professorale bien-pensante, en intégrant à son discours, le plus souvent inconsciemment, cette conceptualisation duale de la société, ne fait en dernière instance rien d’autre que de pousser certains individus à s’identifier aux victimes et certains autres à s’identifier aux bourreaux. Pour faire bref, le régime hystéro-progressiste implante ainsi en certains individus la mentalité et la conscience de soi de la victime, le tout en imposant à d’autres types d’individus la mentalité et la conscience de soi du coupable. L’époque, à travers ses avant-gardes éclairées et semi-éclairées, façonne très activement deux formes distinctes de consciences individuelles : (1) l’inférieur sociologique trituré, dont les dés sont pipés d’avance, et qui doit lutter politiquement, sous la tutelle réformiste d’un pouvoir politico-institutionnel militant, pour abolir la persécution dont sa classification est victime; (2) le supérieur sociologique illégitime, favorisé par la contingence, et qui doit baisser la tête, se rouler dans la honte et s’offrir volontairement à une ré-éducation permanente, le tout en s’ouvrant jovialement à sa propre auto-dissolution.
La société se retrouve ainsi scindée en deux entités subjectives et psychologiques distinctes, affectant le prisme à travers lequel les individus ainsi subjectivés interprètent et interpréteront les aléas de leurs vies personnelles. Si, par exemple, un majoritaire bouchard-taylorisé ainsi qu’un minoritaire tout aussi bouchard-taylorisé postent 20 curriculum vitae et n’obtiennent aucune réponse positive, eh bien les deux appliqueront une grille d’interprétation tout à fait différente à la chose, et ce, même si, objectivement parlant, les raisons de leur échec étaient les mêmes, par exemple une formation déficiente. Alors que le majoritaire s’auto-critiquera et s’en prendra peut-être rhétoriquement à la médiocrité de l’économie québécoise, eh bien le minoritaire bouchard-taylorisé se complaira probablement dans la victimisation, s’en prendra à l’ethno-culture majoritaire, se prétendra victime du racisme ambiant, etc. Et cette logique est partout. Quand un minoritaire applique pour un emploi dans la fonction publique fédérale, municipale ou provinciale, eh bien il apprend, en cochant la case « minorités visibles », qu’il est une victime. Quand il ouvre la télé, il apprend qu’il est une « victime ». Quand il jase à sa voisine bien pensante, il apprend qu’il est une « victime ». Sa carrière aurait beau être un succès foudroyant, il gardera toujours un certain ressentiment pour le majoritaire, ne sachant jamais réellement s’il mérite de A à Z son succès ou si on ne le lui a accordé que par sympathie condescendante pour son appartenance aux « victimes ».
En résumé, le discours québécois contemporain sur la diversité, dont la Commission B-T n’est qu’un exemple particulièrement saillant, s’active à imprégner les minorités d’une mentalité victimaire, nuisant ainsi directement à l’avenir empirique des individus que recoupe le concept, mais générant par le fait même une clientèle politique gémissante destinée à appuyer la refondation hystéro-progressiste de la société québécoise. Si le social-progressisme classique oeuvre activement à entretenir et fabriquer les assistés qui le supporteront, l’hystéro-progressiste d’aujourd’hui œuvre maniaquement à entretenir et fabriquer les victimes, mais aussi les coupables repentants, qui le supporteront. Et en dernière instance, ce que la bien-pensance fait à ce qu’elle décrète être des minorités est, d’une manière plus pervertie que jamais, absolument très québécois : « Vous êtes de pauvres petites victimes défavorisées par l’histoire, tout seuls vous ne vous en sortirez jamais, seuls l’État, le politique, la revendication pourront un jour vous offrir une réalité existentielle à la hauteur de votre valeur intrinsèque évidente, aujourd’hui illégitimement bafouée. »
Dans un récent article, un journaliste avait souligné son étonnement devant le professeur de sa fille qui, lors d’un cours d’éthique et de culture religieuse, avait proposé aux bambins dont il était responsable de redessiner le drapeau québécois de manière à l’adapter aux exigences symboliques de la diversité contemporaine. Eh bien encore une fois, au-delà de la niaiserie évidente dudit professeur, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences concrètes de l’acte naïviste posé par notre brave pédocrate. Et la vérité la plus ultime de ce que le professeur a dit, eh bien c’est tout simplement ceci : « Le Québec actuel est intolérant ». Ce faisant, à travers l’énonciation d’un concept intégrant de manière constitutive le binôme bourreau-victime, il a suscité l’émergence d’une mentalité de bourreau repentant en tous ceux qui, dans sa classe, pouvaient s’identifier à l’essence historique du Québec, les poussant ainsi à développer un désir d’auto-négation réformiste de même qu’une attitude de condescendance bienfaitrice envers l’Autre. Inversement, en tous les minoritaires de sa classe qui, jusqu’à maintenant, se concevaient peut-être encore comme des individus tout à fait normaux, il a implanté une mentalité victimaire, leur brossant le tableau d’une société intolérante qui, par ses fondements mêmes s’active jour après jour à les persécuter.
Sans le savoir, pensant contribuer à l’harmonie céleste, notre bien-pensant collabore, jour après jour, à la fabrication de deux types de citoyens fondamentalement distincts, possédés par des visions du monde totalement opposées. Ce brave enseignant, le genre qui vient probablement d’installer en sa cuisine une station de compostage dernier cri, contribue ainsi à une des tendances lourdes du Québec contemporain, qui est celle de scinder la société en deux à travers la fabrication et l’implantation de deux façons distinctes de se sentir soi-même par rapport à son environnement social et politique.
La dissolution de l’individu
Vous êtes des victimes, vous êtes des bourreaux. Vous êtes des victimes, nous sommes des bourreaux. Nous sommes des victimes, vous êtes des bourreaux. Le cadre interprétatif éclairé de l’époque forme une trame unitaire, qui s’applique à tous, et qui se décline selon la perspective de celui qui l’a intégré. Progressivement, s’efface le concept, universaliste, selon lequel tout un chacun possède des droits intrinsèques. Lentement mais sûrement s’instaurera l’idée qu’on ne peut juger d’un individu, de ses actes et de ses droits qu’à l’aune du groupe auquel il appartient. Il y aura des bourreaux, des plus bourreaux que d’autres, des victimes, encore des victimes, et surtout des plus victimes que d’autres. Au sommet symbolique de la pyramide de demain : le transsexuel magalche djihadiste avorté. Que dire de plus…
Le 29 octobre dernier, en présentant le projet de loi 106 à l’Assemblée nationale du Québec, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles Yolande James marquait une rupture majeure, encore une autre, en enfonçant dans la gueule de tous les organes de l’État quelque chose qui s’approche énormément d’une injonction à la révolution permanente, les obligeant à adopter et publiciser « une politique de gestion de la diversité culturelle », un concept très peu encadré qui laisse présager qu’un peu partout dans l’Administration, des comités peuplés de victimes et d’illuminés repentants, assurément les seuls intéressés par la chose, auront les coudées franches pour élaborer des bébelles absolument inimaginables. L’élan vers la diversité de la fonction publique québécoise sera donc divers et hétéroclite. Partout, des politiques de gestion de la diversité culturelle distinctes évolueront ainsi de manière furtive, décentralisée et désordonnée. Babel.
Mais pour ce qui nous intéresse ici, soulignons pour l’instant, en ce qui concerne ce projet de loi, une seule et unique chose : à l’objectif « d’intégrer les immigrants », semble désormais se juxtaposer celui de soutenir « la pleine participation des personnes des communautés culturelles à la société québécoise ».
Qu’est-ce que ça veut donc dire? Tout simplement que l’objectif n’est plus vraiment d’intégrer à la société des individus nouveaux, mais plutôt de favoriser l’affirmation sociétale de groupes qu’on juge victimisés, et ce, à travers la promotion de segments individuels de ces mêmes groupes. L’État, ou du moins la philosophie qui l’incarne, ne semble plus tout simplement souhaiter l’intégration d’individus à la société. Plutôt, il semble désormais souhaiter, à travers son action sur certains individus, favoriser le rayonnement et l’affirmation de certains groupes. La rupture, qui n’est pas encore si claire que ça mais qui se produira indubitablement : on ne tentera plus d’aider un individu jugé momentanément mésadapté face à un nouvel environnement. Désormais, à travers l’individu ciblé par des mesures privilégiées, on tentera plutôt d’aider des groupes qu’on juge sociologiquement persécutés. Le devoir de l’individu devient celui de collaborer à l’affirmation de son groupe à travers le système. Les politiques publiques, même quand elles agiront sur l’individu, n’auront plus l’individu comme finalité ultime, mais viseront plutôt à agir sur certains groupes, ne considérant plus l’individu que comme le moyen d’atteindre des finalités de valorisation communautaire. Et déjà aujourd’hui, le gouvernement québécois semble s’intéresser beaucoup plus à l’intégration de « communautés » qu’à l’intégration d’« individus ».
Le moment n’est pas loin, et je ne niaise même pas, où un politicien ira promettre des emplois à Monsieur X, grand représentant organique autoproclamé de la communauté papoue, s’il promet en contrepartie de pousser son troupeau à voter du bon bord. Si critiqué, ce politicien n’aura probablement qu’à proclamer qu’il souhaitait ainsi honorer des pratiques politiciennes issues de la formidable culture brésilienne, et tout le monde se fermera alors la gueule.
Triste Québec
Se vautrer dans la culpabilité a peut-être ses bienfaits, mais certainement pas assez pour le faire sans raison. À écouter le vent qui souffle sur notre Belle Province, on croirait que nos clercs éclairés parlent et agissent comme s’ils avaient la responsabilité d’un peuple qu’on aurait surpris, le mois passé à peine, en train de planifier l’invasion de la Pologne. À regarder nos manuels scolaires, on croirait que nos grands frères ont consacré leur jeunesse à la colonisation de l’Algérie. À lire les projets de loi déposés à l’Assemblée nationale, on croirait que nos ancêtres sodomisaient jour et nuit leurs esclaves dans le doux confort d’une meule de coton.
Au fond des choses, il est incroyablement attristant de voir le Québec contemporain possédé jusqu’à la moelle par les idéologies victimaires les plus virulentes. Et ces idéologies qui aujourd’hui nous affectent, elles n’ont pas, en dernière instance, été produites localement. Plutôt, elles nous ont été transmises par des contrées portant une histoire passablement plus lourde que la nôtre : esclavagisme, impérialisme, colonialisme, génocides, guerres insensées, etc. La bien-pensance qui affecte le Québec, ce n’est rien d’autre que le résultat de la pénétration quasi coloniale de conceptions idéologiques étrangères totalement inadaptées à notre contexte. Le fait que nous soyons aujourd’hui affectés par des idéaux aussi nihilistes ne fait que confirmer la faiblesse constitutive qui caractérise les multiples composantes d’un peuple, le nôtre, un phénomène qui vous me l’avouerez ne date pas d’hier.
Le Québec doit absolument se débarrasser des virus culpabilisants totalement décontextualisés qui l’habitent. Il n’a pas à être le symptôme des échecs d’entités extérieures à lui-même. Et avouons-le : la coterie jacassante dominante québécoise est sans l’ombre d’un doute le regroupement humain le plus mentalement colonisé de l’histoire humaine, coincée et formatée qu’elle est par des influences angéliques lui provenant d’absolument partout sauf d’elle-même.
Ah oui. Soulignons une dernière chose. Je serais très surpris qu’il y ait une majorité d’immigrants qui soient venus au Québec en espérant que leurs enfants se fassent imprégner d’une mentalité victimaire par les institutions de la place. Très surpris. Mais c’est pourtant ce qui est en train de se passer, et pas à peu près.
Jean-Jacques Tremblay
jeanjacquestremblay@gmail.com
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